AFRIQUE NOIRE (Culture et société) Langues
Linguistique externe
Dans quelles conditions sociologiques et historiques s'exercent les langues de l'Afrique noire ? Cette question attire l'attention sur les communautés linguistiques et doit introduire à une compréhension plus profonde des langues.
Civilisation de l'oralité
Dire que la civilisation négro-africaine est sans écriture, c'est la qualifier par défaut et par référence analogique à une technique de communication qui lui est originellement étrangère. Certes, il n'est pas facile de définir l'oralité, d'autant plus que cet aspect a peu retenu l'attention des anthropologues. On commence toutefois à s'en représenter l'importance grâce à la publication de textes en langues africaines et à travers les études qui en précisent les conditions d'exercice ou les différents traits symboliques. Ainsi, selon Babalola (1966), des légendes rendent compte, au niveau mythique, de l'insertion dans un culte précis, celui du dieu Ogun, de l'ijala, qui est un genre poétique yoruba. Les poèmes sont récités à l'occasion de fêtes solennelles en l'honneur d'Ogun ou d'ancêtres dont le lignage lui est attaché. Plus l'occasion est solennelle, plus les poètes sont limités dans leur inspiration : ils « redécouvrent » au public les événements et les symboles qui leur sont associés, afin de faire passer, tout en amusant, les principes d'une morale sociale. Les poèmes sont des messages allusifs ou chargés de numineux.
Quels sont les traits d'une civilisation de l'oralité ? Tout d'abord les rapports de locuteurs à auditeurs sont authentiques, en ce sens que tout message recourt nécessairement à des circuits acoustiques : la voix, le tambour, la flûte, le sifflet. Il n'y a pas d'anonymat, comme dans une civilisation de l'écriture. En second lieu, la mémoire est connaissance. L'écrit dure contre le temps. Or il doit aussi y avoir permanence dans l'oralité. Comment l'assurer ?
La mémoire, semble-t-il, est privilégiée par trois moyens. La nature, tout d'abord, est perçue comme un monde de signifiants. Tel arbre, tel animal, tel chant d'oiseau, tel phénomène atmosphérique deviennent les signes de messages numineux et imposent à l'homme un comportement déterminé : il est dans une situation de dialogue latent.
La mémoire est également privilégiée par l'institutionnalisation du savoir. Le patrimoine historique et culturel des communautés repose sur des individus spécialisés dans son maintien et dans sa transmission. Ainsi les griots du pays manding. Enfin, l'exercice de la parole est rythmé, et ce rythme est en fin de compte un moyen mnémotechnique (M. Jousse). Il s'inscrit dans un complexe mental ; ordre, répétition et harmonie sont des structures internes de la pensée nègre.
Un troisième trait de l'oralité est le caractère nécessaire et coercitif de la parole. L'école de Marcel Griaule a beaucoup fait dans l'importance de la découverte de la parole. Il est ainsi nécessaire d'énoncer des devises quand on arrive à un village. Les louanges sont coercitives en ce sens que le bénéficiaire doit y répondre par un don, ou par d'autres paroles, ou s'en protéger par une amulette qui est dépositaire de sa réponse.
Langues et enseignement
Il existe aujourd'hui une presse, des livres, des traductions en diverses langues africaines. Ce passage de l'oralité à l'écriture fut et reste le fait soit de décisions officielles au niveau de l'enseignement, soit d'options en rapport avec l'apostolat religieux. Un nombre croissant de pays francophones développent l'alphabétisation en utilisant quelques grandes langues africaines. Il est trop tôt pour juger des résultats, mais il importe de souligner l'initiative des responsables qui ont le courage d'aller à contre-courant et de prendre une[...]
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Écrit par
- Emilio BONVINI : chargé de recherche au C.N.R.S., chargé de conférences à l'École pratique des hautes études (IVe section)
- Maurice HOUIS : professeur à l'École nationale des langues orientales vivantes
Classification
Média