Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CHRISTIE AGATHA (1891-1976)

La méthode d'Hercule Poirot

Apparu dès le premier roman, le personnage du détective belge se retrouve dans une trentaine des meilleurs ouvrages d'Agatha Christie. Proclamant que pour découvrir un coupable il suffit de s'asseoir dans un fauteuil et de réfléchir en utilisant rationnellement les « petites cellules grises » de son cerveau, Hercule Poirot s'oppose à l'héroïsme du détective aventurier ainsi qu'à Sherlock Holmes, son prédécesseur le plus illustre dans la littérature policière anglaise : même s'il semble l'imiter en se donnant pour compagnon, dans plusieurs romans, un doublet de Watson, le capitaine Hastings, dont la naïveté sert de repoussoir à la logique de ses déductions, il considère comme secondaire la chasse aux indices matériels si importante chez Conan Doyle et lui préfère l'enquête psychologique. Ce petit homme vieillissant, tiré à quatre épingles, prosaïque et maniaque, soucieux de son confort autant que de la morale, restera fameux par son crâne en forme d'œuf, son dandysme, ses cheveux teints, son énorme moustache ; personnage ambigu, vaniteux, paternel, non dépourvu de ridicules qui peuvent conduire son adversaire à le sous-estimer.

Sa méthode est guidée par un amour de l'ordre, des lignes droites et de la symétrie, qui lui fait percevoir la moindre irrégularité d'un ensemble par ailleurs cohérent : elle vise essentiellement à l'inventaire de ces « petits faits », détails qui peuvent paraître insignifiants ou négligeables, et à leur classement, avant de les agencer les uns aux autres selon la technique du puzzle. Ils seront patiemment rassemblés à l'occasion d'interrogatoires ou de confidences que Poirot sait provoquer, qui lui donnent les armes d'une interprétation psychologique du crime et pourront lui permettre de jouer à la fin d'une enquête le rôle paternel d'entremetteur ou de marieur, autant que celui de justicier. Justicier d'ailleurs privé, dont les critères sont parfois plus sentimentaux que juridiques, qui peut laisser l'assassin s'échapper ou décider de clore l'affaire si le coupable lui paraît avoir le droit de son côté, ainsi dans Le Crime de l'Orient-Express (Murder on the Orient-Express, 1934).

Le dévoilement du criminel dans les derniers chapitres est l'objet d'une théâtralisation organisée par le détective lui-même. Ayant rassemblé les protagonistes du drame, Poirot reconstitue les étapes de son enquête, envisage plusieurs hypothèses et désigne à chaque fois un meurtrier plausible. Ces fausses pistes retardent d'autant le coup de théâtre de l'accusation finale, destinée à confondre le criminel, dont la culpabilité apparaît comme la solution la plus logique. Ainsi s'achève le duel ; la mise en scène du détective, en répondant à celle de l'assassin, souligne la parenté qui peut exister entre eux et qu'Agatha Christie a brillamment illustrée à plusieurs reprises, notamment dans Le Meurtre de Roger Ackroyd, où l'assassin est le narrateur associé à l'enquête, et dans le dernier roman, où Poirot, avant de disparaître, devient meurtrier par amour de la justice.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • FOCALISATION, littérature

    • Écrit par
    • 1 085 mots
    • 1 média

    Le terme « focalisation » constitue un des concepts centraux de la « technologie du discours narratif », autrement dit de la narratologie, élaborée dans les années 1970 par des théoriciens de la littérature, notamment Roland Barthes, Tsvetan Todorov et Gérard Genette (Figures III,...

  • ROMAN - Essai de typologie

    • Écrit par
    • 5 909 mots
    • 5 médias
    ...innocente le premier inculpé ; enfin, le vrai coupable (parfaitement inattendu) est arrêté par le détective privé. Dans la préface à Cartes sur table, Agatha Christie a comparé le roman policier à une course de chevaux : le suspect favori n'est jamais le coupable, il faut savoir miser sur l'outsider....