ÂGE DE LA TERRE
Les fossiles, marqueurs du temps
Pour les chrétiens, l’histoire prenait un nouveau sens de suite ordonnée, et non plus de séquence quasiment aléatoire d’événements. Le changement fut particulièrement bien illustré par la première chronologie « universelle » que l’évêque Eusèbe de Césarée (~265-av. 341) établit par le biais d’habiles rapprochements effectués entre systèmes chronologiques différents : ceux des Romains et des Grecs furent par exemple mutuellement calés par le fait que Rome avait été fondée la première année de la septième olympiade. Que l’histoire de la Terre devait s’inscrire dans ce même cadre chronologique fut illustré par Eusèbe quand ce dernier attribua au Déluge la présence des diverses sortes de poissons trouvés au sommet du mont Liban. En reliant un vestige de l’histoire de la Terre à un épisode bien défini de l’histoire humaine, et donc en même temps du monde, Eusèbe fut ainsi l’auteur de la toute première datation géologique « absolue ».
Mais un problème épineux apparut quand, comme le fit saint Augustin (354-430), on constata que des âges systématiquement moins élevés étaient tirés de la Vulgate, la traduction latine de la Bible, plutôt que des Septante, la version grecque produite à Alexandrie au iiie siècle avant notre ère à l’intention de la diaspora juive hellénisée. Pendant près de quinze siècles, des trésors d’érudition furent déployés par d’éminents esprits pour tenter de résoudre ces désaccords. Le grand Isaac Newton (1642-1727) fut un des derniers à participer au débat par une savante Chronologie des anciens royaumes, publiée à titre posthume, où il concluait que le monde n’avait que 4 000 ans. Mais la lassitude avait fini par gagner les esprits devant l’inanité des efforts déployés pour établir un âge indiscutable. Dans sa Chronologie de l’histoire sainte, Alphonse des Vignoles (1649-1744), un des premiers directeurs de l’Académie des sciences de Berlin, déplora ainsi en 1738 avoir lui-même recueilli « plus de deux cents calculs différents, dont le plus court ne compte que 3 483 ans depuis la Création du Monde jusqu’à Jésus-Christ : et le plus long en compte 6 984. C’est une différence de 35 siècles. »
En parallèle, les fossiles étaient peu à peu revenus sur le devant de la scène, car leur ubiquité jusqu’aux sommets des hautes montagnes rendait difficile d’attribuer leur dépôt au seul épisode du Déluge. On put douter de leur origine organique en imaginant qu’ils étaient des « jeux de la nature », des contrefaçons minérales croissant lentement dans les profondeurs de la Terre, tout comme on voyait croître les concrétions dans les galeries de mines ; on imagina même qu’ils pouvaient se reproduire dans les profondeurs de la Terre. Cependant, de solides arguments en faveur d’une origine organique ne manquaient pas, comme l’avaient déjà avancé Bernard Palissy (~1510-1590) et d’autres observateurs avisés. Anatomiste danois au service du duc de Toscane, Nicolas Sténon (1638-1686) le démontra rigoureusement après qu’on lui eût demandé un jour d’examiner la tête d’un grand requin. La similitude des dents de l’animal avec les glossopètres, de petites pierres auxquelles étaient prêtées diverses vertus, le conduisit alors à vouloir élucider leur mode de formation. C’est ainsi qu’il fut conduit à décrire de manière plus générale comment coquillages ou poissons se pétrifiaient et d’énoncer qu’ils le faisaient au sein de sédiments déposés horizontalement au fond des lacs et des mers. Et l’empilement de leurs strates révélait l’ordre de leur dépôt, reconnut Sténon en marquant véritablement la naissance de la géologie : reconstituer le passé de la Terre, plissements et autres accidents tectoniques inclus, était en effet devenu possible.
La découverte d’innombrables volcans éteints[...]
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Écrit par
- Pascal RICHET : physicien
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Médias