MARTIN AGNES (1912-2004)
En annonçant sa mort, survenue le 16 décembre 2004, à l'âge de quatre-vingt-douze ans, la presse rappelait qu'en 1999, le magazine américain ARTnews avait placé la discrète Agnes Martin dans sa liste des dix meilleurs artistes vivants, et qu'elle avait reçu le lion d'or de la biennale de Venise en 1997. Elle s'est éteinte à Taos, au Nouveau-Mexique, là où elle avait vécu le plus clair de son temps.
Née à Maklin, dans la province de la Saskatchewan, au Canada, Agnes Martin passe sa jeunesse à Vancouver, avant de s'installer aux États-Unis en 1932 (elle prendra la nationalité américaine en 1950). Elle y poursuit des études scientifiques et enseigne notamment à Columbia, puis à l'université du Nouveau-Mexique à Albuquerque. Elle commence réellement à peindre vers l'âge de vingt-cinq ans, mais détruit la plupart de ses premières œuvres, encore empreintes de biomorphisme. À la fin des années 1950, elle adopte la forme de la grille, qui permettra longtemps d'identifier son œuvre. Il s'agit, dans ces premiers essais, d'une grille souple, assez variable et qui n'occupe pas toujours la totalité du format. Il arrive même que l'artiste y ajoute des éléments exogènes comme les perles incluses dans The Waves, en 1963, l'œuvre étant constituée d'une boîte fermée dont le dessus est en Plexiglas.
En 1957, Agnes Martin emménage à New York, où elle fréquente des artistes comme Ellsworth Kelly, Robert Indiana ou encore Ann Wilson. Son travail est représenté à l'époque par la galerie Betty Parsons (il le sera, à partir de 1975, par la Pace Gallery). Sa peinture évolue rapidement vers une abstraction de plus en plus rigoureuse et frontale. Ses grilles, d'abord circonscrites dans un cadre à l'intérieur du tableau, vont peu à peu occuper toute la surface, manière que les critiques qualifient de Hard Edge. Mais – c'est un trait essentiel de sa personnalité – l'artiste ne se fige pas dans un dogmatisme formel, et il lui arrivera encore d'inscrire sa grille comme un carré dans le carré de la toile. C'est aussi le temps où elle adopte définitivement le format carré : 180 × 180 cm pour les peintures et 22,5 × 22,5 cm pour les dessins dimensions qui changeront ensuite, puisque ses dernières toiles mesurent 152,4 × 152,4 cm. En 1967, elle retourne au Nouveau-Mexique et arrête de peindre pendant sept ans. Puis elle reprend son activité là où elle l'avait laissée, privilégiant désormais les bandes horizontales, dans des couleurs de plus en plus subtiles et évanescentes, jusqu'à l'usage de ces gris à l'intensité variable qui vont caractériser les œuvres suivantes.
Rarement art aura été à la fois si aisément identifiable et si difficile à situer, rétif à toute taxinomie. C'est peut-être là une marque de son importance, comme de celle de nombreux artistes contemporains, dont la singularité s'affirme quand les catégories esthétiques longtemps attestées montrent leurs limites. L'apparence très construite, rigoureuse, voire austère, des peintures et des dessins d'Agnes Martin a contribué à lui valoir l'étiquette de « minimaliste », sans qu'on sache précisément s'il s'agissait là d'un qualificatif formel ou plus largement historique. Bien que son travail ait acquis une certaine notoriété en même temps que celui des minimalistes (Robert Ryman et Sol LeWitt, par exemple), et malgré une apparente similitude formelle, Agnes Martin ne s'est jamais sentie affiliée à ce courant. Née la même année que Jackson Pollock (et deux ans après la Française Aurélie Nemours), elle s'est toujours affirmée solidaire des expressionnistes abstraits. Est-ce si étonnant lorsqu'on observe attentivement ses peintures ? Devant celles-ci, comme face aux lignes des dessins, on est saisi[...]
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Écrit par
- Jean-Marc HUITOREL : critique d'art, commissaire d'exposition et enseignant
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