AGRESSIVITÉ
L'importance qu'a prise le concept d'agressivité dans le dernier état de la pensée freudienne tient à la position privilégiée qu'il occupe au point d'articulation, d'une part, des processus régressifs auxquels préside la pulsion de mort, d'autre part, de l'organisation culturelle animée par l'expansion d' Éros. De là vient son intérêt théorique : s'il est vrai que l'avatar agressif de la pulsion de mort relève de cette double dimension de régression vitale et de progression culturelle, ses composantes fixeront aussi le contexte dans lequel sont appelés à se constituer le milieu social de l'acculturation et les contraintes génératrices de conflits auxquelles le soumettent ses conditions d'émergence. De là aussi vient l'intérêt pratique du concept d'agressivité : car, si la pulsion de mort est en elle-même insaisissable, la cure psychanalytique devra en aborder l'exigence régressive sous les espèces de l'agression, en particulier dans sa tentative d'élaboration du transfert négatif.
En fait, cependant, cette double série de problèmes s'est révélée dépendante de l'analyse du moi, dont la phylogenèse renvoie au « meurtre du chef de horde » et dont l'inhérence narcissique impose au développement de la cure son obstacle majeur. On ne s'étonnera pas, en conséquence, que ce soit autour du statut du moi qu'aient pris forme, après Freud, la problématique de l'agression dans la psychanalyse des enfants, chez Melanie Klein, et son interprétation psychologique et psychosociale, au premier chef dans l'œuvre de Kurt Lewin.
Le fait que Freud ait lui-même élaboré une théorie de l'État n'en rappellera pas moins qu'aucun des problèmes les plus généraux que soulève la violence n'est demeuré étranger à sa propre contribution.
Les avatars de la pulsion de mort et la civilisation
Du simple point de vue chronologique, on sait qu'après avoir été récusée par Freud dans la forme que lui prêtait Alfred Adler – les manifestations cliniques de l'agressivité antérieurement décrites par la psychanalyse sur diverses névroses étant rapportées par ce dernier, en 1908, à une « pulsion agressive » héritée de Nietzsche – la notion d'une énergie spécifique orientée vers la destruction a été intégrée à la théorie autour de 1920, sous l'égide de la notion de « pulsion de mort », avec Au-delà du principe de plaisir.
Encore convient-il de souligner la réserve dont témoigne à cette date la terminologie. Le concept de pulsion de mort une fois posé, Freud s'interroge sur sa portée au regard de la destruction des deux polarités de la vie amoureuse au stade sadique, « l'amour (manifestations de tendresse) et la haine (agression) ». Il émet alors l'hypothèse que la « pulsion sadique », dont cette dernière trahit la participation à l'organisation prégénitale et dans laquelle les Trois Essais de 1905 voyaient une « pulsion partielle » de la pulsion sexuelle, est caractérisée comme une « pulsion de mort » qui se serait détachée du moi sous l'influence de la libido narcissique et qui ne trouverait à s'exercer que sur l'objet. Plus précisément, la maîtrise amoureuse (Liebesmächtigung) de l'objet, coïncidant avec l'anéantissement (Vernichtung) de celui-ci dans l'organisation orale, se séparerait ultérieurement sous les espèces de la pulsion sadique, et finalement se mettrait au service de la fonction de reproduction. La terminologie ignore donc encore, au long de cette analyse, le concept de « pulsion agressive ». Quant à la notion ou à l'expression de « pulsion de destruction » (Destruktionstrieb), elle apparaît simplement à la fin d'une note, avec l'opposition suggérée entre deux groupes de pulsions, les[...]
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Écrit par
- Pierre KAUFMANN : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
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