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APPELFELD AHARON (1932-2018)

Figure majeure de la littérature israélienne contemporaine, Aharon Appelfeld se situe toutefois hors du sérail des écrivains qui dépeignent les états d'âme d'une société israélienne en mutation permanente. Son histoire personnelle le porte à retracer le vécu du judaïsme d'Europe centrale tout au long du xxe siècle. La quête de la mémoire occupe une place prépondérante dans son œuvre où sont évoquées des enfances idylliques à jamais perdues, des périodes troublées de l'assimilation ou des survies précaires après la Shoah. Dans un hébreu qu'il acquiert à l'âge de quatorze ans, Aharon Appelfeld forge des langages universels : selon lui, « l'Art, et l'Art seulement peut-être, est capable d'endiguer la banalisation et de lutter contre la perte de signification de la Shoah [...]. La littérature doit obéir à un impératif : traiter de l'individu, un individu auquel son père et sa mère ont donné un nom, ont parlé une langue, ont donné leur amour et leur foi. Par sa nature même, l'Art défie constamment le processus d'anonymat auquel chaque individu est réduit » (Beyond Despair, 1994).

Une langue maternelle d'adoption

Aharon Appelfeld - crédits : Will Yurman/ Hulton Archive/ Getty Images

Aharon Appelfeld

Aharon Appelfeld naît le 16 février 1932 à Czernowitz en Bucovine (rebaptisée Tchernovtsy et située actuellement en Ukraine), dans une famille juive assimilée. De langue et de culture maternelles allemandes, il entend le yiddish de ses grands-parents et comprend le ruthène (dialecte ukrainien) ainsi que le roumain. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il connaît le ghetto et le camp, puis, resté seul, il erre pendant trois ans dans les forêts d'Ukraine, dormant à la belle étoile l'été, trouvant refuge chez les voleurs de chevaux et les prostituées durant les hivers rigoureux. Il enfouit au plus profond de lui-même son identité juive ainsi que sa langue maternelle pour s'exprimer uniquement – et très épisodiquement – en ruthène.

À la fin de la guerre, non seulement il a perdu l'usage de l'allemand, mais il est incapable de s'exprimer dans quelque langue que ce soit. « En 1946, l'année de mon arrivée en Palestine, mon journal intime se composait d'une mosaïque de mots en allemand, en yiddish, en hébreu, et même en ruthène [...]. Mon journal me servait donc de cachette dans laquelle j'entassais les restes de ma langue maternelle et les mots nouveaux que j'apprenais. Ce verbiage n'était pas l'expression de quelque chose mais plutôt un état d'âme » (SippurHayim[Histoire d'une vie], 1999). Certes, en tant qu'immigrant, l'hébreu s'offre au jeune Appelfeld comme langue du renouveau, mais l'apprentissage de cette langue « ancienne-nouvelle » ne va pas de soi.

Plus tard, à l'université de Jérusalem, Appelfeld choisit, entre autres, d'étudier le yiddish, langue de ses grands-parents, langue de la filiation juive, de la saveur et de la petite enfance. Grâce à cette matrice de la mémoire juive d'Europe centrale, il parvient à jeter un pont entre son Europe d'origine et son pays d'accueil. Il dispose alors d'un nouvel atout : la langue hébraïque puisqu'elle incarne, avec le yiddish, l'une des deux grandes langues de la littérature juive d'Europe dès la fin du xixe siècle.

Pour les survivants de la Shoah, la langue hébraïque est investie d'une lourde mission : incarner une nouvelle langue maternelle, une langue vivante au plein sens du terme alors qu'elle-même a resurgi depuis peu du fond des âges, et donner une « nouvelle naissance » linguistique à des enfants qui ont échappé à la destruction. Les premiers mots d'hébreu qu'Appelfeld entend lui semblent « exotiques et difficiles à prononcer [...]. Ils ne dégageaient aucune chaleur, n'évoquaient aucune association. C'était comme s'ils étaient nés du sable qui nous entourait de toutes part[...]

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Écrit par

  • : professeure des Universités en littérature hébraïque moderne et contemporaine

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Média

Aharon Appelfeld - crédits : Will Yurman/ Hulton Archive/ Getty Images

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