KOUROUMA AHMADOU (1927-2003)
L'écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma est né en 1927 à Togobala, près de Boundiali, à la frontière entre Côte d'Ivoire et Guinée. Appartenant à une famille d'ancienne chefferie, il aimait à rappeler le souvenir de son grand-père, général du grand Samory, qui avait su organiser la résistance armée à la conquête française. D'ailleurs son nom, Kourouma, signifie « guerrier ». Alors qu'il étudie les mathématiques à Bamako, il participe à un mouvement de contestation scolaire. Cela lui vaudra d'être enrôlé dans l'armée française comme « tirailleur », avant d'être envoyé en Indochine à titre disciplinaire. À son retour, il peut reprendre des études dans une école lyonnaise qui le conduit au métier d'actuaire.
Alors qu'il est rentré en Côte d'Ivoire, il est impliqué dans le complot (monté de toutes pièces, dit-il) que le président Houphouët-Boigny dénonce en 1963. Un moment arrêté, puis réduit au chômage, il va s'exiler pour plusieurs années. En 1972, il tente de faire représenter à Abidjan une pièce, Tougnantigui ou le Diseur de vérité, dont le sous-titre ne peut qu'attirer les foudres de la censure.
Ces démêlés avec le pouvoir ivoirien, issu de la grande espérance des indépendances, lui inspirent dès le milieu des années 1960 le désir d'écrire un roman dénonciateur. Ce sera Les Soleils des indépendances, qu'il présente à plusieurs éditeurs français, sans aucun succès. Mais il obtient, sur manuscrit, le prix 1968 de la revue québécoise Études françaises, et le roman est publié par les Presses de l'université de Montréal. Apprécié de ses premiers lecteurs pour son originalité d'écriture, il est repris dès 1970 par les éditions du Seuil, et apparaît vite comme une œuvre-phare. De fait, dès ce premier roman, Kourouma rompt avec l'écriture, très sage dans sa forme, de la première génération de romanciers africains francophones (Cheikh Hamidou Kane, Camara Laye, Sembène Ousmane, etc.). La construction des Soleils des indépendances se laisse contaminer par des traits propres aux genres oraux africains (la généalogie, l'épopée dynastique), tandis que la langue française de la narration est habitée par la présence sous-jacente du malinké, langue maternelle du romancier. Projet affirmé dès la première phrase du livre : « Il y avait une semaine qu'avait fini dans la capitale Koné Ibrahima, de race malinké, ou plutôt, disons-le en malinké, il n'avait pas soutenu un petit rhume. »
Le roman brosse un tableau de la « bâtardise » (le mot revient comme un refrain dans le récit) de l'Afrique d'après les indépendances. Le héros, Fama, héritier légitime d'une vieille dynastie, est réduit à la mendicité et se trouve victime de l'arbitraire du pouvoir. Il ne survit que par le courage de sa femme Salimata, dont la vie a pourtant été mutilée à la suite de l'excision rituelle.
Kourouma est longtemps resté auteur de ce seul roman. Mais, en 1990, il publie Monnè, outrages et défis (le titre cherche en fait à donner l'équivalent en français du mot malinké monnè). Ce roman, d'une construction complexe, entremêle plusieurs voix narratives pour évoquer l'histoire de l'Afrique de l'Ouest depuis la colonisation française. En attendant le vote des bêtes sauvages (1998) transpose en français une forme traditionnelle, le donsomana, ou chant épique célébrant les grands chasseurs. Le roman recompose la vie de Kayaga, né dans la « tribu des hommes nus » et devenu par la sorcellerie et la multiplication des assassinats, le président d'une imaginaire république du Golfe. Le lecteur n'a pas de mal à reconnaître en lui la synthèse de trop réels despotes africains, de Sékou Touré à Bokassa, Mobutu et autres. Quant à Allah n'est pas obligé (2000),[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Louis JOUBERT : professeur à l'université de Paris-XIII
Classification
Autres références
-
AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Littératures
- Écrit par Jean DERIVE , Jean-Louis JOUBERT et Michel LABAN
- 16 566 mots
- 2 médias
...l'héritage oral dont ils se réclamaient, comme les Ivoiriens Zadi Zaourou (1938-2012) avec le didigaou Jean-Marie Adiaffi (1941-1999) avec le nzassa. Dans un autre genre, Ahmadou Kourouma (1927-2003) a écrit, avec En attendant le vote des bêtes sauvages (1998), un roman sur le modèle des récits de... -
FRANCOPHONES LITTÉRATURES
- Écrit par Jean-Marc MOURA
- 7 220 mots
- 5 médias
...idiomes dans un même texte) est une source de créativité dont témoignent les œuvres de l’Acadienne Antonine Maillet, du Marocain Abdelkébir Khatibi ou de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma. La langue des anciens dominateurs coloniaux est retravaillée, subvertie afin d’exprimer la singularité d’une vision et d’une... -
POSTCOLONIALES FRANCOPHONES (LITTÉRATURES)
- Écrit par Jean-Marc MOURA
- 4 972 mots
- 6 médias
...), témoignent de la déstructuration du Congo, pays appartenant à l’espace africain francophone et parfois rebaptisé péjorativement « Françafrique ». Ahmadou Kourouma revient à l’écriture de fiction en 1990 (Monné, outrages et défis). En Haïti, la diaspora continue de publier tandis que le mouvement...