AÏ KHANOUM
Aï Khanoum (Tépé) est le nom local (« butte de Dame Lune ») du site d'une grande ville coloniale grecque dans l'Afghanistan du Nord, que fouille la Délégation archéologique française en Afghanistan (P. Bernard, C.R. Adadémie inscriptions et belles-lettres, 1966, pp. 127-133 ; 1967 ; pp. 306-324 ; 1968, pp. 263-279 ; 1969, pp. 313-355 ; 1970, pp. 301-349 ; 1971, pp. 385-453 ; 1972, pp. 605-632 ; 1974, pp. 280-308 ; 1975, pp. 167-197 ; P. Bernard et al., Fouilles d'Aï Khanoum I Mémoires D.A.F.A. XXI, Klincksieck, 1973 ; Bull. École française d'Extrême-Orient, 1976, pp. 5-58). Cette ville a fait partie d'un État colonial grec qui, fondé par Alexandre en ~ 329-327, fut d'abord une province de l'empire séleucide de Syrie. Il s'érigea ensuite, vers ~ 250, en un royaume indépendant qui s'étendit des bords de l'Oxus à ceux de l'Indus et fut submergé vers ~ 130 par une vague d'invasions nomades.
Située aux confins orientaux de la plaine de Bactriane, au confluent de l'Oxus et d'un affluent de sa rive gauche, la Kokcha, la ville d'Aï Khanoum contrôlait un terroir agricole irrigué par un vaste système de canaux (J.-C. Gardin et P. Gentelle, Bull. École française d'Extrême-Orient, 1976, pp. 59-110). Occupant un site triangulaire long de 1,8 km dont les défenses avaient été renforcées par une ceinture de puissants remparts, l'agglomération urbaine comportait une ville haute constituée par une colline jouant le rôle d'acropole, sur laquelle furent construites deux citadelles, une ville basse comprise entre cette dernière et les deux fleuves, où se trouvaient la plupart des édifices, ainsi qu'un faubourg hors les murs. Conformément à la technique en usage dans tout l'Orient, les constructions étaient en briques crues, la pierre n'étant utilisée que pour le décor architectural. Peuplée de colons grecs qui avaient gardé jalousement leur langue maternelle, la ville révèle dans son architecture un mélange de traditions helléniques et orientales. Le centre de la ville basse était tout entier occupé par un palais dont les vastes dimensions (300 m de côté environ) et le riche décor de colonnes laissent supposer qu'il fut la demeure d'un gouverneur royal plutôt que le siège des autorités municipales. Les portiques de la grande cour d'honneur par laquelle on y pénétrait (137 sur 108 m) ne comptaient pas moins de cent dix-huit colonnes corinthiennes en pierre de type gréco-oriental. Sur son côté sud s'ouvrait un vestibule monumental, pourvu de dix-huit colonnes corinthiennes plus proches du type grec canonique, et qui donnait accès à une salle dont les murs étaient décorés de demi-colonnes de bois. Vers l'est se trouvaient une autre cour dotée de quarante colonnes, d'ordre dorique cette fois. Dans la partie arrière du palais s'étendait un ensemble de constructions composé, d'une part, d'un grand bloc administratif de 52 mètres de côté, comportant, outre des bureaux, deux salles d'apparat aux murs ornés de pilastres de pierre couronnés par des chapiteaux à double volute imitant un type grec dit en sofa ; d'autre part, de trois blocs résidentiels ayant chacun sa propre cour et dont le plan s'inspire de celui des demeures privées ; une place importante y avait été faite aux salles de bains, dont les sols sont pavés de dalles de pierre ou de mosaïques comportant des motifs décoratifs, géométriques, floraux ou animaliers et qui sont exécutés, selon une vieille technique grecque, avec des galets de rivière colorés. Un système complexe de couloirs assurait la circulation dans toute l'étendue du palais.
Devant l'entrée du palais se dressaient deux monuments funéraires en forme de chapelle à la grecque, où avaient été inhumés deux grands personnages. Le plus modeste, mais aussi[...]
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Écrit par
- Paul BERNARD : membre de l'Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres), directeur d'études à l'École pratique des hautes études, section sciences historiques et philologiques, directeur de l'U.M.R. 126-5 du C.N.R.S. (hellénisme et civilisations orientales)
Classification
Autres références
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