AILLEURS, Henri Michaux Fiche de lecture

Totems et tabous

Dans le dernier volet, Ici, Poddema, le narrateur imagine la parabole satirique d’un autre pays fictif et personnel en deux ensembles d’une cinquantaine de séquences ; l’écriture clinique relate des expérimentations d’états anormaux ; mais surtout, Michaux raconte, sous le masque de faux reportages et avec une précision d’entomologiste, un pays organisé en castes dont les enfants sont élevés « au pot » ; « ici », à « Poddema », règnent le système de dressage le plus raffiné, l’amour de l’esclavage et le bruit ; « ici », au pays des « Oudemaïs » ou des gens de nulle part, l’étranger fait peur, la cruauté serre la main et mange la face, les livres encouragent la docilité et la soumission, les noms sont bannis, la torture et la trahison sont vénérées.

Fables satiriques et utopies crépusculaires, les trois récits qui composent Ailleurs ont été conçus avant, pendant et à la fin de la Seconde Guerre mondiale : prophétique, leur écriture en trompe-l’œil critique l’aliénation des sociétés totalitaires et démasque la violence de leurs totems et rhétoriques faussaires. Héritier des cyniques, du Swift des Voyages de Gulliveret de Kafka, Henri Michaux se fait le porte-voix du chaos de son siècle, un destructeur des états autoritaires, un esprit libre en quête d’une humanité non aliénée.