Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA, Friedrich Nietzsche Fiche de lecture

En août 1881, au bord du lac de Silvaplana, proche du village de Sils-Maria, dans l’actuel canton suisse des Grisons où il passait ses étés, Friedrich Nietzsche (1844-1900) eut une illumination : la « vision du Retour Éternel » (parfois dénommée « vision de Surléï »), qui le conduisit quelques jours plus tard à écrire à son fidèle secrétaire et ami Peter Gast : « Je suis doué d’une vision nouvelle par laquelle je me trouve en avance sur les autres hommes ». À l’exception du paragraphe 341 du Gai Savoir (1882), qui présente sous une forme plus explicite l’Éternel Retour comme un « test » permettant de mesurer notre capacité d’approbation de la réalité, l’unique ouvrage dans lequel Nietzsche a tenté de nous communiquer la nature de cette « vision nouvelle » est le poème philosophique Ainsi parlait Zarathoustra. Ses quatre parties, publiées entre 1883 et 1885, ne furent réunies qu’en 1892 par la sœur de Nietzsche.

Nietzsche avait rêvé de faire du Zarathoustra un opéra. Brillant compositeur d’œuvres pour piano, il a reculé devant l’ampleur de la tâche, sans renoncer pour autant à donner à son Zarathoustra une structure musicale : les contenus s’y succèdent et sont repris à la manière des thèmes d’une symphonie. Le livre a d’ailleurs inspiré en 1896 un poème symphonique à Richard Strauss.

La double annonce de Zarathoustra

Pourquoi avoir choisi le nom énigmatique de Zarathoustra ? Il s’agit de l’autre nom de Zoroastre, ce personnage probablement mythique qui aurait développé, en Perse, onze siècles avant notre ère, une religion fondée sur l’hypothèse d’une lutte éternelle et sans vainqueur entre le Bien et le Mal. Quoi de plus logique, en vérité, que de faire réapparaître, au xixe siècle, Zoroastre, le prophète qui a offert à l’humanité sa première grande morale, afin d’examiner les bénéfices que la postérité a retirés de sa création ?

Dans le livre de Nietzsche, en descendant de sa montagne, Zarathoustra s’adresse à la foule pour lui faire une première annonce : la venue du « Surhomme », c’est-à-dire d’un type d’humanité surpassant l’homme actuel, comme celui-ci a transcendé, il y a quelques millions d’années, l’espèce primitive à laquelle il appartenait. Mais de quoi s’agit-il en réalité ? Nietzsche a répété qu’il était « anti-darwinien ». Or annoncer l’avènement de la surhumanité, n’est-ce pas encore du darwinisme, ainsi que l’ont supposé nombre de mauvais lecteurs de Nietzsche ? Non, Zarathoustra ne prédit en aucune façon l’apparition nécessaire du Surhumain : preuve en est qu’aussitôt après avoir prononcé un discours enflammé sur le Surhomme, il se lance dans la peinture du « dernier homme », l’homme du nihilisme achevé, une forme d’humanité étriquée et dégénérée, dont la venue est infiniment plus vraisemblable que celle du Surhumain.

L’hypothèse de Zarathoustra, porte-parole de Nietzsche, est que l’humanité se trouve, comme l’affirmait le philosophe dans ses premiers écrits, à la « croisée des chemins ». L’histoire est marquée par l’uniformisation, par l’équivalent sur le plan des civilisations de ce qu’est, sur le plan de l’énergie, l’entropie qu’avaient théorisée les physiciens Carnot et Clausius, fondateurs de la thermodynamique et concepteurs de la loi de l’entropie que Nietzsche connaissait. La sélection naturelle de type darwinien, dont il ne s’agit évidemment pas de regretter la disparition, a cessé de « trier » les humains comme elle a sélectionné pendant des millions d’années les animaux et nos lointains ancêtres. Il appartient donc maintenant à l’humanité de prendre en main sa propre évolution. Ici, Nietzsche rejette à la fois le progressisme du xixe siècle, la croyance en une amélioration inéluctable de notre situation et la promesse d’une fin des [...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

Classification

Autres références

  • BONHEUR (notions de base)

    • Écrit par
    • 2 593 mots
    Nietzsche appartient, en compagnie de Spinoza, à cette famille fort peu nombreuse. L’auteurd’Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885) fait une immense découverte : derrière nos vengeances, nos ressentiments, nos jugements, se cache une unique condamnation, la condamnation d’une réalité (individuelle...
  • DÉSIR (notions de base)

    • Écrit par
    • 3 094 mots
    ...laisse entrevoir le « sable de l’humanité », la figure inquiétante de celui que Nietzsche appelle « dernier homme », et dont le paragraphe 5 du prologue d’Ainsi parlait Zarathoustra(1883-1884) nous offre le portrait le plus achevé. Le dernier homme est celui qui ne rêve plus. « “Amour ? Création ?...
  • DEVOIR (notions de base)

    • Écrit par
    • 2 244 mots
    ...Nietzsche (1844-1900) a superbement illustré l’évolution de l’humanité dans la fable « Des trois métamorphoses » qui ouvre le premier livre d’Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885). L’homme a d’abord été chameau, fier de respecter des commandements qu’il supposait venus d’en haut. Mais,...
  • NIETZSCHE FRIEDRICH (1844-1900)

    • Écrit par
    • 9 775 mots
    • 1 média
    ...se joue dans ces lieux de l'Engadine, de l'Italie et de Nice que Nietzsche hante en prophète du nihilisme et de l'Éternel Retour. L'éclair d'Ainsi parlait Zarathoustraillumine tout l'horizon du prochain siècle, mais les contemporains ne lèvent pas les yeux, occupés qu'ils sont des vanités...