KAURISMÄKI AKI (1957- )
En 1988, la sortie en France de Shadows in Paradise est un petit événement. Réalisé deux ans plus tôt, le film, venu de Finlande, frappe autant par l'originalité de l'univers qu'il révèle que par la rigueur de sa mise en scène, qui porte la marque d'un authentique auteur, Aki Kaurismäki. Shadows in Paradise apparaît aujourd'hui encore comme son manifeste. La profonde humanité du regard, l'intérêt pour les personnages de déclassés (ici, un éboueur et une caissière au chômage), la désolation mate, comme en état de glaciation, du monde auquel ils sont confrontés, et l'épure psychologique demeureront les traits saillants de l'œuvre du cinéaste. La poésie insolite du réalisme brut de ses films est l'emblème de son talent. Mais Aki Kaurismäki est aussi l'un des plus politiques des cinéastes en activité.
Aki Olavi Kaurasmäki naît le 4 avril 1957 à Orimattila. C'est à vingt-six ans qu'il réalise son premier long-métrage, après des études en communication, surtout marquées par sa fréquentation assidue de la cinémathèque d'Helsinki, et un parcours de critique dans une revue de cinéphiles. Crime et châtiment (1983), adaptation moderne et austère du roman de Dostoïevski, puis Calamari Union (1985), quête erratique d'un bonheur chimérique traitée comme un film noir, font de Matti Pellonpää l'acteur fétiche du cinéaste. Kati Outinen, révélée dans Shadows in Paradise, en sera le double féminin. Filmés avec une attention qui fait d'eux des modèles quasi bressoniens, ces comédiens aux visages empreints de tristesse et de lassitude reflètent la volonté de Kaurismäki d'arracher son cinéma aux canons traditionnels de la beauté et de la séduction. C'est dans l'aridité que la vérité humaine trouve chez lui sa chambre d'écho. Mais la mélancolie qui habite Matti Pellonpää et Kati Outinen, autant que leurs personnages, a aussi un charme burlesque à la Chaplin, non moins représentatif de l'inspiration du cinéaste, dont l'humour décalé (à froid) est bien une « politesse du désespoir » – la formule n'a jamais eu autant de sens. En témoigne l'esprit caustique qui anime Hamlet Goes Business (1987), transposition brillamment stylisée de la pièce de Shakespeare au sein d'une famille de capitalistes finlandais dont le ridicule se fige dans l'horreur sanglante de la loi du profit. Cette vision extrêmement critique de la réussite économique de son propre pays, Kaurismäki la développera encore, sans la distance de l'allégorie cette fois, dans Ariel (1988), fuite en avant d'un ouvrier dans la voiture que lui a léguée son collègue de travail avant de se suicider, puis dans La Fille aux allumettes (1989), où Kati Outinen interprète une ouvrière vouée à un quotidien sordide, et condamnée à l'indifférence de ses parents comme de l'homme qu'elle aime, qu'elle finira tous par assassiner, en les empoisonnant. L'anéantissement de l'individu, la perte de tout espoir n'ont jamais été plus grands, chez Kaurismäki, que dans ce film où le dépouillement de sa mise en scène réduit tout à l'essentiel, chaque plan tombant comme un couperet dans un silence abyssal. Le réalisme s'allie ici à l'abstraction formelle, et le discours politique et social s'enracine dans un constat sans fioritures et sans appel.
Parvenu à cette synthèse, Kaurismäki se tourne vers des films plus légers qui lui permettent d'évoquer, sur un mode souvent mineur, ses passions de toujours : le rock dans Leningrad Cowboys go America, 1989 (qui sera suivi de Leningrad Cowboys Meet Moses en 1994), la série B américaine dans J'ai engagé un tueur (1990), et le cinéma français dans La Vie de bohème (1992), où se lit son affection pour Jacques Becker. Tiens ton foulard, Tatiana (1994),[...]
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Écrit par
- Frédéric STRAUSS : journaliste
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