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BALKHĪ AL- (850-934)

Initiateur d'une géographie consacrée à la description prioritaire et quasi exclusive du monde de l'Islam, Abū Zayd Aḥmad ben Sahl al-Balkhī a été connu, à son époque, comme théologien et philosophe : il paraît avoir été mêlé de près aux controverses qui agitent le monde musulman de son temps, tiraillé entre l'« orthodoxie » sunnite et le shī‘isme. On nous le peint par ailleurs comme ayant reçu une formation très complète, englobant l'astronomie et l'astrologie, la médecine et les sciences de la nature.

C'est pourtant une autre œuvre, connue seulement par des citations épisodiques faites par ses successeurs, qui nous permet de nous faire une idée d'al-Balkhī : le Livre des configurations des provinces ou Livre de la disposition des pays, composé en 309 [920] (Kitāb Ṣuwar al-aqālīm, ou Kitāb Taqwīm albuldān). Cette œuvre essentielle se situe au carrefour de trois courants. Le premier est celui de la description, de l'image du globe terrestre, héritée de la Grèce, reprise et modifiée par Khuwārizmī et ses émules. L'image (ṣūra) ou plutôt les images (ṣuwar), comme dit le titre de l'ouvrage d'al-Balkhī, réfèrent à un atlas, dont l'idée et les techniques ont été mises à la mode par les savants du Bayt al-ḥikma, institut de recherche fondé par le calife ‘abbāside al-Ma'mūn. La géographie sera donc presque uniquement un recueil de cartes expliquées, le cas échéant, par un bref commentaire.

Mais quelles cartes ? Sans doute al-Balkhī reprend-il l'idée d'une peinture générale de la Terre, de ses mers, de ses montagnes et de ses fleuves. Mais tout cela ne constitue plus qu'un cadre d'ensemble ou une introduction : l'essentiel devient la peinture des pays d'Islam, jusque-là ébauchée. Innovation essentielle : le mot d'iqlīm ne signifiera plus « climat » au sens de la cartographie grecque, à savoir une des sept zones successives alignées parallèlement à partir de l'équateur ; à cette définition, jugée trop théorique, al-Balkhī en substitue une autre : l'iqlīm, ce sera désormais l'un des grands ensembles géographiques, des « pays » qui composent le monde musulman.

Cette idée d'une répartition du monde par pays vient de l'Iran ; al-Balkhī, ici, ne fait pas autre chose que reprendre, dans un contexte musulman, la tendance iranienne à représenter la Terre par grands ensembles humains (Turquie, Chine, Inde, Iran) disposés autour d'un omphalos : évidemment, dans cette conception, les pays d'Iran et de Mésopotamie. Sur un autre point encore, al-Balkhī a suivi, mais de plus près, la tradition de son pays. Les cartes offertes par son atlas et reprises par ses successeurs ne présentent pas les pays de façon géographique, au sens que nous donnerions à ce terme, par le recours aux latitudes et aux longitudes des lieux. Elles préfèrent en donner une image sensible : par le recours aux formes d'objets ou d'animaux familiers (oiseau, rondelle, manteau, par exemple). Le dessin n'est donc pas à la fin de l'entreprise, lorsque la ligne joint des points préalablement situés, mais au début ; la forme des pays n'est pas un graphisme illisible en dehors même de son propre objet, mais une représentation, une image véritable destinée à rappeler que le monde est concret.

Au carrefour de la Grèce, de l'Islam et de l'Iran, l'œuvre d'al-Balkhī, d'une personnalité puissante, a connu, malgré les déboires de sa transmission, une heureuse fortune : deux des plus grands géographes arabes, Iṣṭakhrī et Ibn Ḥawqal, en sont les continuateurs directs.

— André MIQUEL

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  • ARABE (MONDE) - Littérature

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    ...lui, avec ses successeurs, l'espace de la géographie sera donc strictement musulman. Le commentaire, très bref, qui accompagne les cartes devient, après al-Balẖī, l'objet premier du livre et se taille peu à peu la part du lion, avec al-Iṣṭaẖrī, qui le développe, puis voit son œuvre reprise à son tour et...
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    Le seul événement qui nous soit connu de la vie de Iṣṭakhrī ou al-Fārisī est sa rencontre avec Ibn Ḥawqal, auquel il demanda de revoir et de développer son ouvrage, le Livre des routes et des royaumes (Kitāb al-masālik wa l-mamālik, éd. De Goeje, Leyde, 1927 ; éd. M. G. ‘Abd al-Āl...