GHAZĀLĪ AL- (1058-1111)
Grand théologien de l'islam, mais aussi conseiller du calife de Bagdad puis théoricien du droit, al-Ghazālī apparaît surtout, par son énigmatique abandon de l'enseignement et à travers l'orientation critique de ses écrits, comme le défenseur d'une doctrine mystique, qui serait le chemin de la certitude. Profondément musulman de pensée, il a puisé dans l'héritage grec, d'une part, et dans les valeurs chrétiennes, d'autre part, des éléments qu'il a su intégrer sans altérer la pureté de sa foi. Plusieurs critiques ont découvert en lui des sentiments chrétiens et l'ont rapproché parfois de Pascal. Sur sa personne même, on discute pour savoir si ses entreprises ont obéi à des motivations purement religieuses ou d'ordre politique. Il fut et reste honoré dans le monde musulman, qui lui a donné les titres de « Preuve de l'islam » et d'« Ornement de la religion » ; mais son influence réelle a été très limitée. En revanche, il fut connu en Occident, sous le nom d'Algazel, et on peut, comme l'a fait Étienne Gilson en France, retrouver plusieurs de ses idées dans les écrits des penseurs du Moyen Âge latin.
Le mystère de Ghazālī
Abū Ḥāmid Muḥammad al-Tūsī b. Muḥammad al-Ghazālī (ou Ghazzālī) naquit en 450/1058 à Tūs dans l'est de l'Iran ; il y mourut en 505/1111. Il fit ses études à Nīshāpūr, ville où le premier prince saldjuqide Tughril avait établi sa résidence en 1037. Il y fut distingué par Djuwaynī, dit Imām al-Haramayn, l'un des grands théologiens de l'école ash‘arite. À cette époque, les ash‘arites, principaux représentants du sunnisme « orthodoxe », soutenaient les Seldjouqides contre les menées des divers groupes shī‘ites. En 1091, le ministre Nizām al-Mulk nomma Ghazālī, dont il était l'ami, directeur de l'université Nizāmiyya qu'il avait fondée à Bagdad. Dans son Siyāsat Nāmeh (Traité de gouvernement), le ministre écrivait : « Le souverain est tenu de s'enquérir de tout ce qui a trait à la religion, aux obligations qu'elle impose et à la tradition [...] Il est indispensable qu'une ou deux fois par semaine il admette auprès de lui les docteurs de la Loi. » Les activités de Ghazālī à Bagdad ne furent pas étrangères à ce programme. Jusqu'en 1095, son enseignement connut un grand succès ; consulté par le calife, il joua un rôle politique et connut un prestige considérable.
Le doute, chemin de la certitude
Alors se situe le mystère, non encore parfaitement éclairci, de la vie de Ghazālī : subitement, il quitte Bagdad pour se rendre dans divers lieux saints de l'Islam, en Syrie, à La Mecque, à Jérusalem. Il s'en est expliqué dans son livre Erreur et délivrance (Al-munqidh min al-dalāl). Il s'y présente comme un homme épris de certitude, et qui, pour y accéder, n'hésite pas à se livrer au doute et à remettre tout en question : critique des coutumes héritées (ainsi le fait que les enfants des juifs reçoivent une formation juive et que, de même, les enfants des chrétiens et des musulmans soient élevés selon les principes religieux de leurs pères) ; critique des sens et de l'imagination par la raison : l'éveil de la raison dissipe les rêves de l'imagination sensible ; mais, réplique la sensation à la raison, il existe peut-être un état qui soit par rapport à ta veille ce que ta veille est par rapport à ton sommeil. C'est l'ouverture à la connaissance « savoureuse » des mystiques, due à une faculté de « goût » (dhawq) supérieure à la raison (‘aql). Il est certain que les divergences (ikhtilāfāt) entre les docteurs et entre les sectes de l'islam ont profondément troublé Ghazālī ; aussi a-t-il dénoncé avec vigueur le taqlīd, imitation aveugle des maîtres. Mais cette réaction peut être[...]
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Écrit par
- Roger ARNALDEZ : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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