GHAZĀLĪ AL- (1058-1111)
Le shāfi‘isme et l'emploi de la logique en droit
Ghazālī était shāfi‘ite en matière de fiqh (droit musulman). Cette école reconnaissait la validité du raisonnement analogique (qiyās), qui procède par induction d'un principe général de motivation (‘illa) à partir des règles particulières énoncées dans le Coran et la Tradition ; puis par déduction et application à d'autres cas particuliers non formulés dans les textes sacrés. L'appartenance à cette école a probablement conduit Ghazālī à développer une logique juridique où il s'inspire de la logique aristotélicienne, tout en délimitant son usage et sa portée. Son intention apparaît clairement dans le Qisṭās al-mustaqīm (La Balance juste), où il met en forme des raisonnements qu'il trouve dans le Coran et dont il tire différents modes ou figures du syllogisme. La raison existe, créée par Dieu ; on peut donc s'en servir ; mais c'est le Créateur qui lui donne la matière qu'elle doit traiter et les normes qu'elle doit observer. Alors seulement, elle est efficace. Trois ouvrages qui forment comme un triptyque sont consacrés à des questions concernant les sciences et la logique. Ce sont : le Miḥakk al-naẓar (Pierre de touche de la spéculation), le Mi‘yār al-‘ilm (Étalon de la science) et le Mustaṣf̣ā min ‘ilm al-uṣūl (Le Nec plus ultra de la science des principes). Ce dernier traité, en deux livres, insiste particulièrement sur l'application aux principes du droit (Uṣūl al-fiqh) de notions logiques exposées dans l'introduction à partir d'Aristote : définition (ḥadd), preuve démonstrative (burhān). Mais, dans un esprit très musulman, Ghazālī met l'accent sur les mots et les termes, et non sur des idées qui, ayant une réalité intelligible en elles-mêmes, risqueraient de s'opposer à la volonté divine, laquelle est au-delà de toute emprise rationnelle. Il écrit par exemple : « Sache que le général et le particulier relèvent des caractères accidentels des termes, non des réalités signifiées ni des actions. » Ghazālī ne veut pas qu'à la faveur de la logique l'esprit humain réalise en entités des concepts généraux et abstraits qui conduiraient à une philosophie des essences. Ce que Dieu a créé, c'est l'être concret et particulier. Une objection disait : pourquoi une action ne serait-elle pas générale ? Par exemple, quand on donne à Zayd et à ‘Amr, l'action de donner s'étend de façon générale aux deux. Ghazālī répond : « Le don fait à Zayd est distinct du don fait à ‘Amr parce qu'il s'agit d'un acte et qu'il n'y a pas dans l'existence un acte unique, ici le don, qui serait avec Zayd et ‘Amr dans un rapport unique. » Il en dit autant des concepts : « Les sciences et les puissances des hommes, bien qu'associées dans le fait d'être science et puissance, ne peuvent être qualifiées de générales », car ce qui existe, c'est la science de Zayd. Même point de vue sur l'existence : l'existence du noir est distincte de l'existence du blanc, « et l'existence n'est pas un signifiable unique, effectif, commun aux deux, bien que sa réalité dans la raison soit unique ». Ghazālī, en bon musulman, refuse presque instinctivement l'analogie de l'Être.
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Écrit par
- Roger ARNALDEZ : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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