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ḤALLĀDJ AL (858 env.-922)

Attachante figure, à la vérité, que celle d'al-Ḥallādj, mystique musulman mort sur un gibet, à Bagdad, pour avoir chanté l'amour de Dieu en des termes que l'islam officiel jugea blasphématoires. Depuis que Massignon lui consacra, en 1922, son livre monumental, sa personne se profile, à la fois sublime et pathétique, derrière toutes les grandes études sur la mystique comparée. L'expérience fulgurante de ce « pèlerin de l'absolu », dont la rançon fut la mort sur la croix, est, incontestablement, un sommet, sinon le sommet de la mystique musulmane.

Le « cardeur »

Abū l-Mughīth al-Ḥusayn b. Manṣūr b. Maḥamā al-Bayḍāwi, surnommé al-Ḥallādj, « le cardeur » (des consciences), est né dans un petit village du sud de l'Iran ; il alla très tôt à Wāsiṭ, centre purement arabe, une des principales villes de l'Iraq. Très jeune il se sentit attiré vers une vie consacrée à Dieu seul. En 875, il vint à Bagdad où il fréquenta les milieux ṣūfis, vivant près de Amr al-Makkī, puis il suivit l'enseignement de Djunayd, un des représentants de l'école les plus en vue, posé, équilibré, savant, prudent et très conscient des périls d'hétérodoxie qui guettaient les âmes adonnées au ṣūfisme. En bon et pieux musulman, al-Ḥusayn ibn Manṣūr entreprit en 895 le pèlerinage de La Mecque où il demeura un an dans la solitude, menant une vie des plus austères.

De retour à Bagdad, il resta encore quelque temps avec les ṣūfis de la capitale. Mais bientôt il se sentit appelé dans une autre voie ; sa conception de la mystique, de l' union à Dieu, ses idées sur l'apostolat ne concordaient pas avec celles de ses maîtres. Certes, il affirmait, comme eux, qu'il fallait rester fidèle à la tradition, accomplir avec soin les prescriptions de la Loi ; mais il estimait que les rites de la religion devaient contribuer à la sanctification personnelle de celui qui les accomplissait. Celle-ci ne pouvait pas rester le lot d'un groupe privilégié, seul bénéficiaire de la prédiction ṣūfie ; il fallait s'adresser à tous les musulmans, aux endurcis comme aux autres. Ḥallādj se sent une âme d'apôtre conquérant ; il veut rappeler à ceux qui l'ont oublié ou qui ne le savent même pas l'imminence du Jugement de Dieu, la nécessité de la pénitence, l'obligation de s'offrir à Dieu par la prière, et plus encore de l'aimer, lui qui réserve à chaque homme les joies prééternelles du paradis.

Par son amour des âmes, al-Ḥusayn ibn Manṣūr acquiert une grande perspicacité ; il les pénètre, il les devine ; c'est pourquoi on l'appelle « le cardeur des consciences » (Ḥallādj al-asrār), le surnom qui lui restera.

Pendant cinq ans, il parcourt, infatigable, les deux provinces persanes du Khurāsān et du Fars. Devenu prédicateur errant, il rompt presque aussitôt avec les ṣūfis, quitte le froc blanc (ṣūf) pour le caftan à manches des soldats (ḳabā'), ou la muraḳḳa‘a rapiécée de l'ascète. Puis il commence à se lier avec « les gens du monde », c'est-à-dire avec les « laïcs », se tenant au courant des idées du jour, fréquentant les savants comme les ouvriers, pour partager les soucis et les tracas de leur vie. Il se fait tout à tous, adoptant le langage, voire le mode de pensée de ses interlocuteurs, au point que ses ennemis l'accusent de continuelles palinodies.

Il revient passer un an à Bagdad pour repartir en 905, par mer, pour l'Inde, remonte aux limites du Turkestan, jusqu'aux confins de la Chine, continuant à prêcher et à écrire. Il est le premier musulman qui ait cherché à convertir les hindous et les Turcs.

Au retour de son second voyage, de nombreux disciples lui écrivent et l'honorent de surnoms quelque peu étranges pour des personnes soucieuses d'orthodoxie : « celui qui secourt[...]

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