IDRĪSĪ AL- (1100-env. 1165)
Sans doute le géographe le plus connu de la tradition occidentale, al-Idrīsī est le type parfait de ces savants et écrivains qui maintinrent vivace la tradition culturelle arabe dans la Sicile des rois normands. Né peut-être à Ceuta, il est sans doute passé par l'Espagne avant de rejoindre la Sicile ; il a connu également l'Asie Mineure. Issu d'une famille marocaine remontant à Idrīs (d'où son nom d'Idrīsī que complète parfois l'épithète de Sharīf, réservée aux descendants du Prophète par ‘Alī, Idrīsī est connu comme l'auteur d'un traité sur les drogues et, surtout, d'un ouvrage de géographie qui lui a valu une renommée considérable.
Tout part d'un grand planisphère en argent commandé à Idrīsī par le roi Roger II, qui lui demande ensuite d'en écrire le commentaire, sous la forme d'un ouvrage développé ; ce sera le Livre du divertissement de celui qui désire parcourir le monde : Kitāb nuzhat al-mushtāq fī khtirāq alāfāq, plus connu sous le nom de Livre de Roger : Kitāb Rudjār ou al-Kitāb arrudjārī (trad. A. Jaubert, 2 vol., Paris, 1836-1840 ; éd. et trad. franç. partielles R. Dozy et M. J. De Goeje, Description de l'Afrique et de l'Espagne, Leyde, 1844-1866, reproduction anastatique 1968 ; une édition complète, en 9 fascicules, a été publiée par les soins de plusieurs savants, sous la direction de E. Ceruli, F. Gabrieli, G. Levi della Vida, L. Petech et G. Tucci, Naples-Rome, 1970-1984).
L'histoire de ce livre est d'une complication extrême : achevé en 1154, il ne représente en réalité qu'une forme parmi d'autres d'un grand ouvrage repris et remanié. D'abord, selon certains auteurs arabes, Idrīsī aurait composé, pour le roi Guillaume Ier (1154-1166), successeur de Roger II, un autre ouvrage géographique, sous le titre de Jardin de la civilité et divertissement de l'âme (Rawḍ al-uns wa nuzhat an-nafs) ou peut-être, de façon plus classique, Royaumes et routes (al-Mamālik wa l-masālik). Un manuscrit découvert au début du xxe siècle peut être le résumé soit de cet ouvrage, soit du Livre de Roger : on a pris l'habitude, en tout état de cause, de le désigner sous l'appellation du Petit Idrīsī.
La place même de la Sicile, au carrefour des deux mondes chrétien et musulman, et le rôle joué par elle dans la transmission de la culture arabe à l'Occident expliquent le succès connu par l'ouvrage d'Idrīsī : deux résumés en sont faits dans le monde arabe, cependant que l'Occident le connaît dans une version abrégée, en arabe d'abord et traduite ensuite en italien, puis en latin. Quant aux cartes d'Idrīsī, elles ont paru, avec d'autres, dans le recueil de K. Miller, Mappae Arabicae (3 vol., Stuttgart, 1926-1927).
C'est peut-être au climat de syncrétisme culturel qui est celui de la Sicile normande du xiie siècle, c'est, à coup sûr, au planisphère, initiateur de l'entreprise, que l'on doit le caractère résolument universaliste de la géographie d'Idrīsī, caractère qui serait à mettre, lui aussi, au nombre des causes qui expliquent sa diffusion en Europe. Rompant avec la tradition de la description du monde de l'islam qu'Ibn Ḥawqal et Muqaddasī avaient portée à son apogée, Idrīsī renoue, à trois siècles de distance, avec le genre de la description du globe terrestre en sa totalité, inauguré par Khuwārizmī et les savants du règne du calife ‘abbāside al-Ma'mūn, et né, lui aussi, comme le Livre de Roger, du commentaire d'un planisphère.
Le Kitāb Rudjār marque donc un retour à la tradition grecque des sept « climats », ces zones successives distribuées parallèlement à partir de l'équateur et en allant vers le pôle. À l'intérieur de chacune d'elles, Idrīsī commence par l'ouest : indice du glissement, vers[...]
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Écrit par
- André MIQUEL : professeur au Collège de France
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