YA‘QŪBĪ AL- (mort en 897)
Écrivain arabe, historien et géographe, Ya‘qūbī appartient à une famille vouée par tradition à l'administration et au shī‘isme : un de ses ancêtres, préfet d'Égypte, paya de sa vie son attachement aux descendants de la famille d'‘Alī.
Comme géographe, Ya‘qūbī paraît s'inscrire, à première vue, dans la lignée des géographes administrateurs inaugurée par Ibn Khurdādhbeh. Mais il la déborde considérablement et son Livre des pays, rédigé en 889 (Kitāb al-buldān, édité par De Goeje, Leyde, 1892 ; traduction française par G. Wiet, Les Pays, Le Caire, 1937), apporte d'importantes innovations. À l'inverse d'Ibn Khurdādhbeh, Ya‘qūbī est un fonctionnaire de province, et ses voyages, ses notations prises sur le vif, in situ, rapprochent la géographie de la réalité des choses : en Arménie, au Khurāsān, en Inde, en Égypte et en Afrique du Nord, Ya‘qūbī, selon ses propres dires et comme son livre en fait foi, a interrogé une foule de gens, doublant son information livresque par ce souci de l'observation et de la notation concrètes (‘iyān) qui vont peu à peu se tailler une place décisive dans la géographie. Pour être directement inspiré par des vues utilitaires, par le souci de fournir un compendium commode aux administrateurs ou aux voyageurs, l'ouvrage géographique de Ya‘qūbī ne s'en caractérise pas moins, de-ci de-là, par une certaine gratuité de l'information qui tend à la définir, par là même, comme scientifique. Sous la nonchalance de l'exposé, qui semble inviter l'esprit à se laisser porter par le simple souci de la notation, au fil des choses, perce le souci de ne rien laisser perdre de ce qui peut aider à connaître l'empire musulman en général et tel ou tel de ses pays en particulier : tribus, archéologie et histoire, productions, climat, eaux, itinéraires, administration.
Sur un dernier point capital, l'ouvrage de Ya‘qūbī affirme un nouvel esprit. Aux deux conceptions de l'organisation du monde qui ont cours en son temps (la grecque, qui distribue la Terre en sept « climats » successifs, alignés parallèlement à partir de l'équateur, et l'arabe, qui fait des lieux saints d'Arabie le pôle de la prière et, par conséquent, le centre du monde), Ya‘qūbī en substitue une autre, qui n'est pas sans rappeler celle de la Perse antique, laquelle distribue l'univers autour de l'omphalos que constituent les vieux pays d'Iran et de Mésopotamie. Ya‘qūbī, qui connaissait pourtant la division grecque et qui pouvait, de ce fait, réserver à Bagdad la place éminente que lui donnait sa situation dans le quatrième climat, le climat intermédiaire, préfère accuser le rôle « ombilical » de Bagdad, en disposant, autour d'elle et d'elle seule, la Terre en quatre quartiers (est, sud, ouest et nord). La géographie suit ainsi les changements politiques intervenus : l'Arabie, glorieuse, n'est plus le centre du monde, mais c'est l'islam et l'arabe, lancés par elle dans ce monde, qui relaient, là même où il affirmait sa prééminence, le vieil Iran.
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Écrit par
- André MIQUEL : professeur au Collège de France
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