BADIOU ALAIN (1937- )
Le multiple pur
La philosophie d'Alain Badiou se présente donc comme une nouvelle doctrine de la vérité, étayée sur une théorie générale de l'événement. Mais cette pensée de l'exception, de la césure, est aussi une pensée de l'immanence radicale. En effet, les vérités (elles-mêmes multiples et non totalisables) ne sont nullement séparées du multiple, bien qu'elles ne se confondent pas avec lui. Elles coïncident avec la production, au sein de situations données, de multiples d'un genre spécial : les singularités quelconques (ou « génériques »), « innommables » parce qu'échappant à l'« encyclopédie » des propriétés énonçables dans une langue bien faite. Alain Badiou voit dans la « volonté générale » de Rousseau, indépendante de tout intérêt particulier et de toute détermination explicite, un exemple de ces ensembles génériques. L'excès ou la césure de l'événement par rapport à l'être, d'où provient une vérité, ne nous fait donc jamais sortir du multiple. Qu'il puisse y avoir excès sans que par là se réintroduise une transcendance, il revient à l'ontologie du multiple pur de l'établir.
En refusant toute forme de transcendance, le platonisme de Badiou se veut fidèle à l'événement de la « mort de Dieu » annoncé par Nietzsche. Il trouve son principe dans la proposition du Parménide : « l'Un n'est pas ». L'être pensé comme multiplicité infinie ne peut jamais se rassembler en Un, ni être ressaisi comme « étant en totalité ». Ce caractère non totalisable, littéralement « inconsistant » du multiple pur, est le motif initial déployé par L'Être et l'événement. En témoignent à leur manière les apories suscitées par l'idée d'un ensemble de tous les ensembles (paradoxe de Russell), ou encore le fait que l'ensemble des parties ou sous-ensembles d'un ensemble donné est toujours plus grand que lui (théorème de Cantor), ce qui ouvre le champ à une hiérarchie d'infinis de puissance croissante. Délivrée du thème de l'Un ou du Tout, l'ontologie ne peut être que « soustractive ». Elle se confond avec les mathématiques ensemblistes, qui prennent désormais en charge le discours de l'être en tant qu'être en affrontant les apories de l'un et du multiple. Cette identification des mathématiques et de l'ontologie découle de la décision de penser le multiple pur : seule une stratégie axiomatique, c'est-à-dire strictement prescriptive et opératoire, est à même d'en exposer l'inconsistance sans avoir à le thématiser, et surtout sans courir le risque de réunifier subrepticement l'être, que ce soit positivement sous les espèces d'une intuition ou d'un concept (la « durée » chez Bergson, la « multiplicité hétérogène » et le « virtuel » chez Deleuze), ou négativement sous la figure heideggérienne de l'Ouvert ou de la promesse d'un retour des dieux.
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Écrit par
- Elie DURING : agrégé de philosophie, professeur dans le secondaire et à l'École nationale des beaux-arts de Lyon, membre du Centre international d'étude de la philosophie française contemporaine, École nationale supérieure, Paris
Classification
Autres références
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ÉVÉNEMENT, philosophie
- Écrit par Jean GREISCH
- 1 931 mots
...dépasser, à leur tour, l'horizon d'une « métaphysique de la présence », ce qui les oblige à thématiser à neuf la question de l'événement. C'est ainsi qu'Alain Badiou (L'Être et l'événement, 1988) explore la possibilité d'une pensée de l'événement sur la base des mathématiques ensemblistes (Cantor,...