BADIOU ALAIN (1937- )
Les logiques des mondes
L'Être et l'événement l'annonçait déjà clairement : toute enquête métaphysique est irrémédiablement locale. Non seulement parce que tout événement a un site, mais parce que, plus généralement, il n'existe pas d'espace de pensée où se disposeraient, globalement, les étants pris en totalité. Cependant, dans ce livre, l'apparaître était encore envisagé comme une détermination intrinsèque de l'être : il appartenait à l'être d'apparaître, de même que chez Hegel il est de la nature de l'essence de se manifester. Que la vérité ait lieu ne va pourtant pas de soi. La possibilité d'un monde capable de soutenir l'éclat d'une vérité doit être établie. Logiques des mondes s'y emploie dans un style moins axiomatique que le premier tome, en faisant une part importante à la construction géométrique et surtout à la logique. Il s'agit d'examiner les conditions sous lesquelles l'ontologie s'articule à une logique de l'apparaître, c'est-à-dire non plus de l'être mais de l'être-là de ce qui apparaît dans un monde. Car ce qui vient en excès de l'être (l'événement, la vérité) doit pouvoir d'une certaine façon apparaître pour pouvoir être suivi et rendre la décision effective : il faut en parcourir localement les figures, et du même coup celles des sujets qui s'y rendent fidèles ou qui le dénaturent (« sujet réactif », « sujet obscur »). Précisons que l'apparaître désigne seulement ici une localisation : l'être-là de ce qui est, l'avoir-lieu d'une vérité. C'est pourquoi il n'est pas question du monde (au sens où l'entend la phénoménologie), mais toujours des mondes, au pluriel. Alain Badiou développe au passage une théorie de l'objet qui n'a pas d'équivalent dans les pensées issues du kantisme, qui toutes renvoient l'objet à une instance de la représentation, ou à un sujet transcendantal. Cette théorie s'appuie notamment sur une conception des degrés d'identité et de différence entre les composantes d'une situation, et sur la structure d'ordre qu'ils dessinent. Elle s'articule à une théorie formalisée de la prise de corps : un corps doit organiser sa propre consistance à partir d'un site où la vérité se déploie point par point, dans l'espace topologique où se distribuent les moments de décision d'un sujet agissant.
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Écrit par
- Elie DURING : agrégé de philosophie, professeur dans le secondaire et à l'École nationale des beaux-arts de Lyon, membre du Centre international d'étude de la philosophie française contemporaine, École nationale supérieure, Paris
Classification
Autres références
-
ÉVÉNEMENT, philosophie
- Écrit par Jean GREISCH
- 1 931 mots
...dépasser, à leur tour, l'horizon d'une « métaphysique de la présence », ce qui les oblige à thématiser à neuf la question de l'événement. C'est ainsi qu'Alain Badiou (L'Être et l'événement, 1988) explore la possibilité d'une pensée de l'événement sur la base des mathématiques ensemblistes (Cantor,...