CUNY ALAIN (1908-1994)
Alain Cuny est monté pour la dernière fois sur une scène de théâtre en 1972 au théâtre de Chaillot, où il jouait La Danse de mort avec Maria Casarès. Au cinéma, il fit une plus longue carrière puisque les cinéphiles ont pu l'admirer jusqu'au bout dans des films importants de Francesco Rosi (Les Hommes contre, 1970, Cadavres exquis, 1975, Le Christ s'est arrêté à Eboli, 1979, Chronique d'une mort annoncée, 1986). Antonioni l'a fait tourner dans un de ses premiers films (La Dame sans camélias, 1953) et resta son ami par la suite. Fellini lui a donné un de ses plus beaux rôles : le Steiner de La Dolce Vita (1960) avant d'en faire le Trimalchion de son Satyricon (1970). Alain Cuny a également tourné dans Les Amants de Louis Malle (1958) et dans Détective de Jean-Luc Godard (1984).
Sa carrière s'est ouverte et refermée sur deux coups d'éclat, avec Les Visiteurs du soir en 1942 — il avait alors trente-quatre ans — et avec L'Annonce faite à Marie, qu'il réalisa en 1990-1991, à plus de quatre-vingts ans. Il avait quitté en plein succès le rôle principal du Bout de la route, la pièce de Giono qu'il jouait au théâtre des Noctambules, pour tourner dans le film de Marcel Carné Les Visiteurs du soir, seul inconnu d'une bande qui comptait Arletty, Jules Berry, Marcel Herrand, Fernand Ledoux parmi ses membres. Le public n'a jamais oublié ce masque, cette voix, cette présence. Un demi-siècle plus tard, un vieil homme réalisait son premier film, dont il traînait le projet depuis vingt ans, aboutissement d'une vie auquel ses amis ne croyaient plus.
Il reste que le cinéma a surtout fourni un gagne-pain à Alain Cuny. Le théâtre aura été son vrai royaume. L'Annonce faite à Marie suffirait à prouver qu'il entretint un lien privilégié avec Claudel, dont le théâtre a jalonné toute sa vie. Dans L'Annonce, il fut en 1944 un inoubliable Pierre de Craon, avant d'être le père de Violaine à quatre-vingts ans, dans la version cinématographique. En 1947, il est l'ange de Tobie et Sarah au premier festival d'Avignon. Il interprète également en 1955 le rôle de Cœuvre, le poète, dans La Ville au T.N.P., à la grande époque de Vilar. En 1959, sa plus grande réussite, une des plus belles performances d'acteurs, sera le Simon Agnel de Tête d'or, dans la mise en scène de Jean-Louis Barrault. Alain Cuny a ainsi atteint le sommet de sa carrière théâtrale dans les troupes de Jean Vilar et de Jean-Louis Barrault. Mais Vilar ne lui a confié que trois grands rôles avant de le congédier, et Barrault en est resté à Tête d'or. C'est qu'il n'était pas toujours facile de travailler avec Alain Cuny, qui exaspérait beaucoup de gens par sa démesure et son exigence. On est en droit de penser que le dernier de nos monstres sacrés n'a pas fait de carrière au vrai sens du mot, prenant ainsi le contre-pied de ses jeunes égaux à la mode, Jean Marais ou Georges Marchal. Il aurait dû, aux différentes étapes de sa vie, jouer Hamlet, Alceste, Œdipe, le roi Lear, et bien d'autres rôles mythiques. Au lieu de cela, il a multiplié les lectures de textes tirés de la littérature ou des Écritures, à la radio, dans les rencontres d'intellectuels ou au festival d'Avignon, à partir de 1986.
Grâce à ces lectures de Reverdy, Claudel ou Artaud, les nouvelles générations de spectateurs ont pu rencontrer de son vivant l'acteur qu'ils n'ont jamais vu sur une scène de théâtre. Par son extraordinaire présence, par sa démesure de prophète, on s'est peu à peu déshabitué de le considérer comme un comédien. C'est par le théâtre pourtant, marqué par lui en son noyau d'humanité, qu'Alain Cuny a échappé à l'anonymat et à l'opprobre. Car il portait en lui la trace d'une souillure aussi ancienne que sa naissance à Saint-Malo. Sa voix inoubliable[...]
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Écrit par
- Alfred SIMON : écrivain
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