FRANÇON ALAIN (1945- )
C'est à Saint-Étienne, sa ville natale, qu'Alain Françon s'initie au théâtre dans les années 1960. Élevé par ses grands-parents, tenanciers de bistrot dans un quartier minier, il suit d'abord des études d'histoire de l'art, avant de constituer un groupe de théâtre dépendant de la Comédie de Saint-Étienne. Jean Dasté en est alors le directeur. Il donne sa chance à Françon, faisant figurer ses mises en scène au programme du théâtre. La jeune troupe se tourne vers un répertoire contemporain, qualifié alors d'avant-gardiste, et qui comprend les auteurs du théâtre de l'absurde, Beckett, Ionesco, Pinget, ou Arrabal.
En 1971, Françon fonde le Théâtre Éclaté, installé à Annecy, avec les comédiens André Marcon, Evelyne Didi et Christiane Cohendy. La compagnie pratique un théâtre militant, d'intervention, fonctionnant sans metteur en scène, sur le mode de la création et de l'écriture collectives. L'actualité politique (un premier spectacle sur le procès de Burgos en 1972) ou sociale constitue son matériau, sans véritable souci de la forme. Rapidement, pourtant, la troupe aborde les textes et le théâtre d'auteurs (L'Exception et la règle de Brecht, 1972 ;Soldats de Carlos Reyes, 1973 ; La Journée d'une infirmière d'Armand Gatti, 1973 ; Le Jour de la dominante de René Escudié, 1974). Alain Françon en vient à assumer le rôle de metteur en scène.
La rencontre avec Michel Vinaver sera déterminante. Celui-ci écrit Les Travaux et les jours pour le Théâtre Éclaté en 1979. Suivront L'Ordinaire en 1983 et Les Voisins en 1986, pièce en forme de jeu choral, faussement « quotidienne », où la trame du dialogue seule contient toute la progression dramatique.
C'est vers l'écriture contemporaine que se dirige alors Françon en priorité : Enzo Cormann (Noises, 1984 ; Palais Mascotte, 1988), Marie Redonnet (Tir et Lir, 1988 ; Mobie Diq, 1989), Roger Planchon (La Remise, 1993). Mais il se penche aussi sur le tournant de la période 1900, explorant aussi bien le drame d'Ibsen (une mise en scène étouffante d'Hedda Gabler en 1988 ; Le Canard sauvage à la Comédie-Françaiseen 1993) que le vaudeville avec La Dame de chez Maxim de Feydeau (1988), où il prend le parti de la lenteur et du traitement radical des situations, ce qui accentue la cruauté et la charge antibourgeoises. Il tente également une incursion dans l'univers d'Eugene O'Neill (Long Voyage vers la nuit, 1984) à rebours du maniérisme psycho-naturaliste.
Directeur d'acteurs toujours soucieux de rendre le texte audible, particulièrement lorsqu'il s'agit de classiques (Le Menteur de Corneille en 1986 pour la Comédie-Française ; Britannicus en 1992), Alain Françon s'entoure de comédiens souvent virtuoses (Dominique Valadié, Jean-Claude Durand, Carlo Brandt), capables de compositions et de métamorphoses, ou pratiquant un jeu antinaturaliste, porté par l'intensité poétique (Michèle Goddet, Clovis Cornillac). Après Yannis Kokkos, son décorateur attitré est Jacques Gabel, avec lequel il recherche l'austérité et le dépouillement, aux antipodes du décorativisme.
À partir de 1992, Alain Françon croise la route du dramaturge anglais Edward Bond ; c'est une rencontre décisive. Il met en scène La Compagnie des hommes (1992), violente tragédie initiatique sur fond d'O.P.A dans l'univers des marchands d'armes, et Les Pièces de guerre(1994), trilogie apocalyptique où la fiction de la fin du monde invite à repenser les fondements de nos sociétés occidentales. Alain Françon se met là tout entier au service de l'œuvre, semblant la « déplier » sans le moindre effet, afin de laisser émerger la réflexion du spectateur. Il engage avec Bond un dialogue constant (Si ce n'est toi, 2003 ; Chaise, 2006 ; Les Gens, 2014), qu'il met à profit[...]
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Écrit par
- David LESCOT : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Média
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