KIRILI ALAIN (1946-2021)
Né à Paris le 29 août 1946, Alain Kirili a incarné pendant plus de cinq décennies la sculpture contemporaine dans son ambition de dépasser les frontières entre New York et Paris, entre la musique, la danse et l’invention tridimensionnelle, entre l’extrême contemporanéité et une modernité fondée sur Picasso, Rodin, Barnett Newman, Giacometti ou Carpeaux. Ce fervent amateur de jazz pratiquait la sculpture comme un art de l’énergie et de l’improvisation. Il mettait sa force indomptable à forger le fer et à dessiner dans l’espace, à converser aussi, d’une parole généreuse et féconde, au-delà de toute limite : « Je peux annoncer que j’ai eu cet après-midi une conversation avec Fragonard sur Charlie Parker, affirme-t-il en 2007. Je les ai d’ailleurs présentés l’un à l’autre et ils s’entendent très bien. »
La visite de l’exposition David Smith au musée Rodin en 1965 va jouer un rôle crucial dans le fil de sa vie comme de sa carrière. Les sculptures abstraites en métal du sculpteur expressionniste américain lui donnent l’envie de découvrir New York. Là, il fait la connaissance, à dix-neuf ans, de la galeriste Ileana Sonnabend qui organise sa première exposition à Paris en 1972 avant une autre à New York en 1978. Après avoir participé à la Documenta de Kassel en 1977, année de son mariage avec la photographe Ariane Lopez-Huici, Alain Kirili s’installe à la fois à New York et à Paris, et se montre à partir de cette époque également présent des deux côtés de l’Atlantique. Il fréquente à Paris Philippe Sollers et Julia Kristeva, voit sa première sculpture achetée par le MoMA de New York en 1979, expose au musée Rodin en 1985, puis installe aux Tuileries, l’année suivante, sa première commande d’État, Grand commandement blanc. Cet ensemble d’écritures abstraites, en métal peint en blanc, dialogue avec les Nymphéas de Monet présentés à l’Orangerie toute proche (Kirili et Les Nymphéas, 2007), comme avec la tradition horizontale de la sculpture minimaliste américaine que Kirili souhaite dépasser. Cet ensemble marque le début d’un parc de sculptures aux Tuileries, qui lui est commandé en 1996 et est inauguré en 2000. Dans ce jardin historique où furent installées en 1964, à l’initiative de Malraux, une vingtaine de bronzes de Maillol, Kirili invite les plus grands créateurs du xxe siècle, vivants ou morts, Giuseppe Penone, Louise Bourgeois, Dubuffet, David Smith, Eugène Dodeigne, Max Ernst, Lipchitz, Miró, Arp, Calder… Sans éclectisme ni volonté d’exhaustivité, le sculpteur partage avec les promeneurs sa vision de la sculpture depuis Rodin jusqu’aux années 2000, qu’elle soit en métal, en bronze ou en pierre : un art de la forme libérée de tout académisme, un sens du volume et du travail de surface dans une hétérogénéité de matières et de couleurs.
En France, les commandes publiques s’enchaînent, différentes les unes des autres, car Alain Kirili réinvente son style selon le lieu et les circonstances de ses créations. En 1996, Ariane messagère des dieux est installée au Centre d’art contemporain de Vassivière ;en 2002, Ascension, à l’abbaye de Montmajour ; en 2007, Hommage à Charlie Parker, place Robert-Antelme, Paris 13e ; en 2011, Résistance, au parc Paul-Mistral à Grenoble. À chaque fois, une forme incarnée dans une matière singulière ‒ ciment, pierre de Bourgogne, résine peinte ‒ marque le site avec un souci de verticalité, de légèreté, de résistance par rapport à la pesanteur comme aux modes stylistiques.
« Récalcitrant inclassable dans une époque qui court vers un monde asexué et uniforme », tel qu’il se définissait en 1989, Alain Kirili n’a eu de cesse de donner des formes contemporaines à la statuaire ‒ titre de son livre sorti en 1986 ‒ en l’ouvrant, au-delà la tradition occidentale, aux mondes indien, cambodgien ou encore africain, avec Amahiguere[...]
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Écrit par
- Paul-Louis RINUY : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII
Classification
Média
Autres références
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SCULPTURE CONTEMPORAINE
- Écrit par Paul-Louis RINUY
- 8 011 mots
- 4 médias
...forme dressée dans l’espace invite à forger la notion de « statuaire abstraite » pour évoquer, dans la lignée de Barnett Newman, les recherches d’un Alain Kirili. Ce dernier invente depuis le début des années 1970 une statuaire orientée vers l’exploration physique de la matérialité, de la « chair »...