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MABANCKOU ALAIN (1966- )

Dialogues transculturels

C’est surtout à partir de Verre cassé qu’Alain Mabanckou invente une langue et une manière de raconter qui lui sont propres et qui expriment une vision du monde à la fois burlesque, pathétique et sarcastique. Cette manière est d’abord marquée par l’oralité et la polyphonie : les récits sont souvent pris en charge par un personnage au parler truculent, qui écrit comme il parle, et qui ne parle pas un « français français », mais une langue fécondée par d’autres rythmes, d’autres langues : c’est le cas du narrateur de Verre cassé, pilier d’un bar de Pointe-Noire, qui relate les discours de ses comparses et écrit « en état d’ébriété », dans un flux continu, sans ponctuation, avec une grammaire également à la dérive. Dans Mémoires de porc-épic, c’est l’animal lui-même qui raconte avec truculence les aventures rocambolesques de son double humain peu recommandable. Quant au narrateur de Black Bazar, c’est lui aussi un buveur invétéré, mais cette fois dans un bar afro-cubain de Paris. Tantôt grotesques, tantôt pitoyables, ces personnages participent de ce « pleurer-rire » (Henri Lopes), présent chez bien des écrivains africains. À travers la satire, renforcée par toutes sortes d’images incongrues ou de jeux de mots, sont abordés des sujets graves, voire tabous, parfois traités à la manière de romans policiers, avec un art consommé du suspense : violences des guerres civiles, despotisme des « présidents-généraux », misère des émigrés en France, racisme entre Noirs, escroqueries et trahisons de la pègre congolaise en France.

Comme le remarque un personnage de Verre cassé, Alain Mabanckou aime aussi dialoguer « avec des gars comme Proust ou Hemingway, des gars comme Labou Tansi ou Mongo Beti ». Les allusions littéraires sont en effet innombrables, dans ses romans comme dans ses essais, et y jouent un rôle essentiel. Il s’agit d’abord, en écho avec l’aspiration à une identité plurielle et une « littérature-monde », de revendiquer des filiations littéraires et artistiques multiples, aussi bien occidentales qu’africaines, francophones, européennes ou américaines. L’écrivain en fait aussi parfois un ressort comique, mêlant de manière incongrue des registres et des univers culturels disparates. Ces références deviennent un procédé d’écriture ludique dans Verre cassé : le roman, d’un bout à l’autre, est truffé de titres d’œuvres ou de citations qui ne sont pas affichées comme telles, mais camouflées dans le récit, à la manière d’une contrainte oulipienne. À travers ces hommages indirects aux artistes qui ont compté pour lui, Alain Mabanckou insère avec humour dans ses œuvres une dimension métalittéraire. Les détournements parodiques sont nombreux, à commencer par des titres comme African Psycho, histoire d’un serial killer raté et clin d’œil à l’American Psychode Bret Easton Ellis, ou Le Sanglot de l’homme noir, qui fait écho au Sanglot de l’homme blanc de Pascal Bruckner. L’oiseau migrateur se fait ainsi passeur entre les cultures et les continents.

— Violaine HOUDART-MEROT

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Alain Mabanckou - crédits : Sophie Bassouls/ Corbis Historical/ Getty Images

Alain Mabanckou

Autres références

  • FRANCOPHONIE

    • Écrit par
    • 3 377 mots
    • 2 médias
    ...permet à des écrivains de pays périphériques de faire entendre leur voix dans une langue de grande diffusion et de mieux défendre leur identité culturelle. Le romancier congolais Alain Mabanckou a prolongé le débat par un article (« La francophonie, oui, le ghetto, non ! ») dans lequel il réclamait un statut...