PLATEL ALAIN (1956- )
Un artiste de de la différence
Avec VSPRS (2006), chorégraphié sur les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, Platel entame une collaboration avec l'artiste et saxophoniste Fabrizio Cassol, qui assure la direction musicale du projet. Cette nouvelle production, dépouillée, n'opte pas pour une interprétation linéaire des Vêpres et décide de combler les blancs de la partition par une musique métissée faite de jazz, d'accents tziganes et de voix exceptionnelles. Par ailleurs, il revient à ses premières expériences en s'appuyant sur les travaux du psychiatre Arthur Van Gehuchten qui avait analysé et filmé les mouvements contorsionnés des patients en proie à l'hystérie. L'extase religieuse de la partition trouvait son expression physique dans la gestuelle des corps possédés des interprètes. Les pièces suivantes, Pitié (2008), Out of Context – For Pina (2009) et Gardenia(2010) s'inscrivent dans cette même veine. Pitié met en relation, sur une musique de Bach (La Passion selon saintMatthieu), la douleur d'une mère avec celle d'une humanité en déshérence dans une rhétorique baroque. Sur fond de cris et de soupirs, les corps se tordent en une danse acrobatique. Out of Context approfondit encore cette recherche, mettant en scène les obsessions du chorégraphe : un corps fragilisé, démuni, sujet à des déséquilibres physiques ou mentaux, parcouru de tics ou de spasmes, saisi par des bouffées de folie ou des gestes loufoques, que l'on trouvait déjà en germe dans La Tristeza complice. Les petits gestes ou les grands mouvements envahissent la scène rapidement, telle une lame de fond recouvrant toute la gamme des comportements humains. Gardenia réunit deux personnalités internationales de la scène belge autour d'Alain Platel : Franck Van Laecke, magicien d'opéra et de théâtre, et Vanessa Van Durme, artiste de cabaret et comédienne transsexuelle. Cette création scrute l'existence de neuf personnages : un jeune homme, une comédienne et sept ex-travestis artistes de cabaret dont l'âge oscille entre 60 et 65 ans. Une nouvelle façon d'évoquer la différence et le hors norme à travers l'âge ou le genre, à l'époque où le jeunisme de notre société du paraître ne hait rien tant que le temps qui passe.
Artiste de l'hybridation des expériences et des arts, Platel a été l'invité du festival d'Avignon 2010 avec ses deux dernières œuvres, Out of Context – For Pina et Gardenia, puis de la biennale de la danse de Lyon. Gerard Mortier, alors directeur du Teatro Real à Madrid, demande à Alain Platel de créer un spectacle autour des fameuses scènes chorales des opéras de Verdi. Ce sera C(H)ŒURS, créé en 2012, qui intègre des morceaux de l’œuvre de Richard Wagner. Depuis des années déjà, la tension entre le groupe et l’individu est un thème central dans les représentations de Platel. Dans C(H)ŒURS, il explore à quel point la beauté d’un groupe peut être dangereuse. Un thème éminement politique (dénonçant la facilité de manipuler des groupes), tout comme peut l’être Tauberbach (2014), une pièce qui puise son inspiration dans Estamira, un documentaire racontant l’histoire d’une femme atteinte de schizophrénie qui vit et travaille dans une décharge des environs de Rio de Janeiro. Pour autant, Alain Platel n’abandonne pas les œuvres plus légères, comme Asobi (jeux d’adultes), créé en 2013 pour la danseuse Kaori Ito, ou encore Coup Fatal (en collaboration avec Fabrizio Cassol), un spectacle mixte (concert, ballet, music-hall…) qui mêle la musique baroque de la vieille Europe et la rumba de la jeune afrique, portée par les musiciens de Kinshasa autour du jeune contre-ténor Serge Kakudji. Cette dernière œuvre a été plébiscitée au festival d’Avignon 2014.
Parallèlement, Alain Platel a participé à la réalisation de films sur la danse, que ce soit[...]
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Écrit par
- Agnès IZRINE : écrivaine, journaliste dans le domaine de la danse
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