LESAGE ALAIN-RENÉ (1668-1747)
Écrivain de métier, Alain-René Lesage a laissé une œuvre dramatique et romanesque importante, qui ne représente qu'une part sans doute de ses activités littéraires. Il a – comme en d'autres temps Cervantès, Tolstoï, Proust – résumé et réinterprété une tradition séculaire. La richesse de la matière espagnole et méditerranéenne, l'ironie mesurée, à la française, pérennisent son chef-d'œuvre, l'Histoire de Gil Blas de Santillane.
Un écrivain de métier
La volonté de vivre honorablement de sa plume situe Lesage parmi ses contemporains entre E. Lenoble, J. B. Mailly, folliculaires gagés qui écrivaient indifféremment d'amour, de politique ou de religion, et Crébillon père, F. Gâcon, A. Danchet, poètes membres de diverses académies, qui pratiquaient les grands genres.
Né à Sarzeau (Morbihan) d'une famille de petits officiers royaux, il se fixe à Paris vers 1690 ; d'abord avocat, il devient secrétaire de l'abbé de Lyonne (fils de l'ancien ministre des Affaires étrangères), qui lui assure jusque vers 1721 une modeste pension de 600 livres par an. Marié en 1694, il a une fille et trois fils : deux, comédiens malgré leur père ; le plus jeune, chanoine, chez qui il meurt à Boulogne-sur-Mer.
Très parisien, lié au parti des Modernes, indépendant de tempérament mais protégé du pouvoir, isolé toutefois par une surdité précoce, il deviendra conformiste avec l'âge. Ses charges de famille, inhabituelles dans la république des lettres, ont pu contribuer à orienter sa carrière dans le sens de la prudence morale et de l'audace littéraire.
Il se cherche dans le roman puis dans le théâtre. Les Lettres galantes (1695), librement traduites du maniériste grec Aristénète, passèrent inaperçues. Le Théâtre espagnol (1700), qui contenait une pièce de Francisco de Rojas et une de Lope de Vega, eut le même sort. Les Nouvelles Aventures de l'admirable Don Quichotte de la Manche (1704) furent mieux accueillies : elles reprenaient la suite (publiée en 1614, sous le pseudonyme d'Avellaneda) de la première partie du roman de Cervantès. Lesage vantait la supériorité d'Avellaneda, plus soucieux de vraisemblance, mais imaginait de nouveaux épisodes d'après Cervantès.
Le goût de la fantaisie lui vaut des déboires dramatiques avec Le Point d'honneur (1702) de Rojas et Don César Ursin (1707) de Calderón. Crispin rival de son maître (1707) obtient un succès franc et d'excellent aloi, Turcaret (1709) fait une bonne saison : Lesage les a composés délibérément pour le Théâtre-Français dans le style traditionnel en renonçant à ses recherches originales. Il y eut une affaire Turcaret. Les traitants (receveurs des finances), que la comédie attaquait, essayèrent de s'opposer à la représentation ; le duc d'Orléans ordonna aux comédiens de jouer. Si la satire des mœurs frôle un problème quasi politique, c'est qu'au su ou à l'insu de l'auteur elle s'insérait dans une campagne inspirée par le régime pour détourner la colère du peuple sur des hommes de paille : les vrais maux étaient le trésor vide, la guerre, l'hiver de 1708-1709 et la famine. Lesage toucha 598 livres de droits, mais se brouilla avec les comédiens du roi. La Tontine, écrite en 1708, ne fut représentée au Théâtre-Français qu'en 1732.
Lorsque, en 1712, il décide de fournir les entrepreneurs forains, il se garantit un revenu régulier et recouvre la liberté d'inspiration. Seule une patiente reconstitution permettrait d'apprécier la qualité de livrets souvent faits en collaboration et qui mêlent paroles, pantomime, danse, musique et chant. Le Théâtre de la Foire, qui prépara la voie à l'Opéra-Comique, attira pendant quinze ans le Tout-Paris. Lesage échoua derechef quand il tenta de prendre pied au Théâtre-Français et aux Italiens dans les[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Roger LAUFER : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université de Paris-VIII
Classification
Autres références
-
HISTOIRE DE GIL BLAS DE SANTILLANE, Alain-René Lesage - Fiche de lecture
- Écrit par Anouchka VASAK
- 1 028 mots
Pour les lecteurs contemporains, Lesage n'est pas, comme l'abbé Prévost avec Manon Lescaut ou Bernardin de Saint-Pierre avec Paul et Virginie, l'homme d'un seul livre, Gil Blas. Turcaret surtout, mais aussi Le Diable boiteux ont un public, des lecteurs. Mais le héros, ici, tend...
-
TURCARET (A.-R. Lesage)
- Écrit par Christian BIET
- 835 mots
La seconde partie du xviie siècle et le début du xviiie siècle marquent un moment de crise des valeurs. Tout s'achète, tout se vend, et tout doit aller très vite dans un monde – le Paris de 1708 – où, avant tout, on échange des biens, où l'on joue et où l'on consomme frénétiquement. En montant le...
-
FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIe s.
- Écrit par Patrick DANDREY
- 7 270 mots
- 3 médias
...de la vie sociale, de ses usages, de ses modes et des vices à la mode, avec légèreté chez Dancourt ou Dufresny, avec une allégresse plus mordante chez Lesage ou Regnard. Les successeurs de Molière marient ainsi son héritage à celui de La Bruyère, peintre des caractères et des mœurs de son temps.... -
PICARESQUE ROMAN
- Écrit par Maurice MOLHO
- 2 125 mots
...(1623), ou le Simplicius Simplicissimus de Grimmelshausen (1668). Mais l'imitation la plus célèbre reste l'Histoire de Gil Blas (1715-1735) de Lesage, qui reprend des thèmes espagnols afin de construire le portrait d'un « Picarro » (sic) très différent (hormis le travesti) de ses modèles... -
ROMAN - Essai de typologie
- Écrit par Jean CABRIÈS
- 5 909 mots
- 5 médias
...dégénéré en roman vertueux ou libertin d'aventures divertissantes, et cette tradition désormais « domestiquée », édulcorée, sera reprise par le Français Lesage : Gil Blas de Santillane (1715-1735) se situe aux antipodes du naturalisme théologique et fataliste des premiers Espagnols. Sceptique et réaliste...