REY ALAIN (1928-2020)
Alain Rey est né le 30 août 1928 à Pont-du-Château (Puy-de-Dôme), près de Clermont-Ferrand, dans une famille catholique. Son père, polytechnicien et bibliophile, lui transmet le goût des mots, mais pas celui des grandes écoles. Du côté des études universitaires, le jeune Alain se montre en effet assez nomade : après un passage en khâgne, à Sciences-Po et à la Sorbonne, il s’inscrit à l’école d’officiers de Cherchell, près de Tipaza, en Algérie. L’expérience le marque profondément. Choqué par la violence coloniale, il conservera de cette immersion dans le monde militaire une conception libertaire de l’existence.
Ironie de l’histoire, c’est un avocat pied-noir, Paul Robert (1910-1980), riche héritier d’une famille propriétaire de champs d’orangers, qui lui met le pied à l’étrier en publiant une annonce dans Le Monde. Passionné par la langue française, il recherche des linguistes afin de réaliser ce qui serait un nouveau Littré. En 1952, Alain Rey se lance dans cette collaboration avec Paul Robert en vue de créer ce nouveau dictionnaire. Un an plus tard paraît le premier volume du Grand Robert, qui sera achevé en 1966. En 1967, à partir du travail effectué, la première édition du Petit Robert mis au point par Alain Rey, Josette Debove et Henri Cottez vient concurrencer Le Petit Larousse. Très vite, l’ouvrage se présente comme un signe de distinction culturelle, et comme le dictionnaire des lettrés. À l’ordre alphabétique sont ajoutés des renvois analogiques. Bien avant la création d’Internet et ses liens hypertextes, les mots renvoient à des idées qui, à leur tour, renvoient à d’autres mots.
Alain Rey a aussi compris que les mots sont, comme lui, nomades, qu’ils n’ont pas de frontières et qu’ils s’introduisent quelquefois tout à fait fortuitement dans le vocabulaire. En matière de lexicologie, l’érudition ne suffit donc pas : elle doit s’accompagner de l’observation, afin de percevoir la manière dont la langue française « bouge » dans la littérature, mais aussi dans la presse ou dans la chanson. Au sein de la toute nouvelle société Dictionnaires Le Robert, il rencontre une jeune linguiste qu’il épouse en 1954 ; Josette Debove (1929-2005), première femme lexicographe en France, l’accompagnera durant toute sa carrière. Avec elle, il s’engage dans des projets de longue haleine comme le Dictionnaire historique de la langue française (1992) puis le Dictionnaire culturel du français (2005). Là encore, il montre que les mots sont des fils conducteurs, qui nous guident à travers l’histoire. Le public ne s’y trompe pas, et le succès est au rendez-vous.
Alain Rey rend également hommage aux aînés de la lexicographie : il consacre des études savantes à Antoine Furetière (1619-1688) ainsi qu’à Émile Littré (1801-1881) et signe pour le grand public un Dictionnaire amoureux des dictionnaires (2011). De façon plus inattendue, il publie le Dictionnaire amoureux du diable (2013), qu’il justifie par cet esprit dont il était coutumier : « Si on a donné à ce pauvre diable la forme du bouc, c’est sans doute pour qu’il serve d’émissaire. »
De 1993 à 2006, il tient la chronique matinale « Le mot de la fin » sur France Inter. Pour beaucoup d’auditeurs, Alain Rey devient une voix, posée et reposante, avec cette érudition teintée d’humour qui le caractérise. On le voit aussi sur les plateaux télévisés. Avec son front dégarni, ses longs cheveux blancs, sa moustache et ses cravates bariolées, on sait, dès qu’il apparaît, qu’on ne va pas s’ennuyer avec les mots. Durant toute sa carrière, alternant ouvrages scientifiques et vulgarisation avenante, il a défendu l’image d’une langue vivante. L’argot, le verlan, les régionalismes ou les expressions venues du Québec, de Suisse ou de Belgique ont fait leur entrée dans Le Robert, contribuant ainsi à dépoussiérer l’image[...]
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Écrit par
- Laurent LEMIRE : journaliste, écrivain
Classification
Média
Autres références
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FRANCE (Arts et culture) - La langue française
- Écrit par Gérald ANTOINE , Jean-Claude CHEVALIER , Loïc DEPECKER et Françoise HELGORSKY
- 15 699 mots
- 2 médias
...'évolution de la langue française depuis l'origine est généralement dessinée comme une marche vers l'unité. À l'origine, selon l'expression proposée par Alain Rey dans L'Amour du français, on a affaire à une « langue métissée » de latin, savant et populaire, et de diverses langues germaniques. Son... -
LITTRÉ ÉMILE (1801-1881)
- Écrit par Jean-Didier WAGNEUR
- 1 460 mots
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Émile Littré se confond aujourd'hui avec son grand œuvre, le Dictionnaire de la langue française. On cite le Littré, on l'invoque comme un recours suprême réglant également le bon usage mais ouvrant sur l'histoire de la langue. Plus encore, user du Littré appartient aux pratiques...