WILSON ALAN CHARLES (1934-1991)
Les travaux d'Alan Wilson, spécialiste de la biologie moléculaire et technicien talentueux, ont bousculé les conceptions des anthropologues sur la place de l'homme dans la nature et sur l'origine de l'homme moderne. Co-inventeur du principe de l'horloge moléculaire, qui rythme de ses mutations la séparation des espèces, et de l'« Ève mitochondriale », qui aurait cédé, il y a deux cent mille ans, son ADN à l'ensemble des hommes et des femmes actuels, il disparut au moment le plus productif d'une carrière scientifique à la fois féconde et provocatrice.
Alan Wilson est né à Ngaruawahia, en Nouvelle-Zélande, pays dont il garda la nationalité. Il fit ses études à l'université de Berkeley, en Californie, où il reçut son titre de docteur en 1961. Après des études postdoctorales à l'université Brandeis, il revint dans son laboratoire de Berkeley où, avec ses collaborateurs, il allait constituer l'équipe de recherche la plus innovatrice sur l'évolution moléculaire.
Si Alan Wilson ne fut pas un des pionniers de l'anthropologie moléculaire – l'étude de la diversité des hommes et de leur évolution à partir des gènes et des molécules –, il lui donna toute sa dimension. Au début des années 1960 paraissaient les premiers travaux sur les distances immunologiques entre les hommes et les singes (M. Goodman, 1963). Leurs résultats imposaient une reconsidération de la classification traditionnelle couramment acceptée à l'époque, avec les hommes et leurs ancêtres dans une famille, les Hominidés, et les chimpanzés, les gorilles et les orangs-outangs dans une autre, les Pongidés. En considérant que les molécules, codées par des gènes, pouvaient apporter autant d'informations sur les relations de parenté des espèces vivantes que les méthodes classiques de l'anatomie comparée, il fallait admettre que les grands singes africains et l'homme formaient un groupe séparé des orangs-outangs. À un siècle de distance, la biologie moléculaire redéfinissait la place de l'homme dans la nature telle que l'avait établie T. H. Huxley en 1863 dans son livre Evidence as to Man's Place in Nature,un ouvrage qui influença considérablement Darwin (1871).
Sarich et Wilson (1967) ravivèrent la polémique en donnant une dimension temporelle à ces résultats : l'horloge moléculaire. En postulant un taux constant de mutation et en calibrant l'horloge sur certains fossiles, les différences moléculaires entre espèces devenaient des durées. Ils estimèrent la séparation entre la lignée humaine et celle des grands singes africains à 5 millions d'années (M.A.). Cette hypothèse se heurtait à celle des paléoanthropologues qui privilégiaient une dichotomie ancienne, entre 15 et 20 M.A. La polémique s'installait durablement.
Wilson et ses collaborateurs explorèrent d'autres techniques (empreintes protéiniques ou électrophorèse) et montrèrent en 1975 que les hommes et les chimpanzés partageaient 99 p. 100 de leurs gènes ! Indépendamment, cette étroite parenté fut renforcée par des découvertes de fossiles dans la vallée de l'Omo en Afrique, la fameuse Lucy, et par les résultats de nouvelles approches en anatomie fonctionnelle et comparée. Au début des années 1980, un compromis entre les deux disciplines proposait une date de divergence vers 7 M.A. Alors que s'évanouit la controverse sur l'origine des Hominidés, Wilson et ses collaborateurs commencent à publier leurs résultats sur les cartes de restriction de l'ADN des mitochondries (ADN-mt), les organites responsables du métabolisme cellulaire. L'ADN-mt des hommes actuels se révèle beaucoup moins variable que celui des autres singes (Wilson et coll., 1985). En postulant un taux de mutation constant et l'absence de sélection, ils estiment que les hommes modernes[...]
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Écrit par
- Pascal PICQ : maître de conférences au Collège de France
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