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PAULS ALAN (1959- )

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Né en 1959 à Buenos Aires, Alan Pauls a suivi des études secondaires au lycée franco-argentin de Buenos Aires et des études littéraires à l’université de Buenos Aires. Il a enseigné la théorie de la littérature dans cette université. Essayiste, romancier, il est également traducteur et auteur de scénarios de films. Fondateur de la revue Lecturas críticas, il collabore à diverses revues dans les domaines tant littéraire que philosophique.

Ses essais le font vite remarquer, et cela dans les genres les plus variés : la critique littéraire (Manuel Puig : la traición de Rita Hayworth, 1988), l’éloge de caricatures et bandes dessinées humoristiques avec La infancia de la risa (1994) sur le dessinateur Lino Palacio, des considérations sur l’écriture dans Cómo se escribeun diario íntimo (1998), El factor Borges (2000, publié d’abord en français sous le titre Le facteur Borges). Il aborde sous forme romanesque des travers que les médias font ressortir parmi les « tendances » contemporaines : El pudor delpornógrafo (1984, La Pudeur du pornographe), La vida descalzo (2006, La Vie pieds nus). La vivacité du propos, les complexes paragraphes d’introspection critique installent la réflexion humoristique au cœur de ses romans.

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L’action de Wasabi (1994,) se situe en France, pays auquel l’auteur est très attaché. Le narrateur, romancier argentin, passe une année de résidence à la Maison des écrivains et des traducteurs (M.E.E.T.), à Saint-Nazaire. Avec sa compagne Tellas, ils expérimentent des substances hallucinogènes mais trouvent dans le wasabi, sorte de « moutarde japonaise », de plus délicates sensations. Après d’étonnantes péripéties qui conduiront Tellas dans un phalanstère de Pakistanais à Londres, et verront le narrateur devenir clochard à Paris, ils se retrouvent. Leurs aventures constituent le roman à déposer en fin de résidence à la M.E.E.T. L’enfant conçu durant ce séjour s’appellera Wasabi.

Le succès du roman suivant d’Alan Pauls, El pasado, (2003, prix Herralde, Le Passé) le consacre internationalement. Depuis la fin de son adolescence, Rímini, le narrateur forme avec Sofía, un couple fusionnel, – une sorte d’idéal dans la société changeante de Buenos Aires. Ils ont décidé de se séparer afin de se donner l’un à l’autre plus de liberté. Le narrateur conquiert Vera, une nouvelle compagne d’une jalousie maladive, mais reste sollicité par la première. Il s’éprend ensuite de Carmen, rencontrée dans une cabine d’interprète. Le jeu avec le temps ancre tout le récit dans le chapitre final qui voit le narrateur passer ses journées, dans l’appartement de Sofía où il est revenu, à classer les mille cinq cents photos qui témoignent de leurs amours de jadis. La vie argentine et ses cycles de tensions constituent un véritable chronotope de Buenos Aires où sont puisés nombre d’effets de réel, entrecoupés d’aperçus ironiques sur les échanges sociaux.

Suivent trois romans que leurs titres invitent à considérer comme une trilogie. Dans Historia del llanto (2007, Histoire des larmes),  le narrateur, parvenu à l’âge adulte, se souvient que sa mère s’étonnait de ne jamais le voir pleurer. De son côté, son père, dandy tôt parti ailleurs, l’emmène au club sportif pour le distraire, mais le pousse aussi à l’émotion et à la confidence. Lors de la rupture familiale, la mère avait été installée par ses parents dans un quartier où demeuraient surtout des militaires. L’un habitait sur le même palier et avait traité l’enfant avec douceur. Le narrateur découvre que cet officier aux gestes si maternels était une militante de l’Armée révolutionnaire du peuple, un mouvement de guérilla, que les forces de la dictature ont capturée et torturée à mort. Il vient auprès de sa mère pour, enfin pleurer, avec elle. Parfois dramatique, le récit passe du rire aux larmes.

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Dans Historia del pelo (2010, Histoire des cheveux), les habitudes, les styles de coiffure et les commentaires qui s’y attachent affirment l’importance des poils et de la cosmétique pour prendre conscience de soi. Au fétichisme des cheveux se rattachent des épisodes aventureux autour d’une perruque qui permettait à un chef révolutionnaire de se camoufler au temps de la clandestinité et qu’achèterait très cher un ancien militant collectionneur de trésors historiques. Mi-sérieux, mi-plaisant, le récit met en scène une vaste gamme de types urbains.

Dans Historia del dinero, 2013 (Histoire de l’argent)  le narrateur adulte garde de son adolescence le souvenir d’un directeur d’entreprise, ami de sa mère et du second mari de celle-ci, mort dans la chute d’un hélicoptère qui l’emmenait sur le site d’une grande usine sidérurgique afin de négocier l’arrêt d’une grève générale. On ne sait où est passée la mallette contenant un million et demi de dollars qu’il emportait, premier indice de l’étrange irréalité de l’argent. Le père du narrateur, plein de fantaisie, a le prestige de celui qui n’accorde pas d’importance à l’argent, tandis que la mère dissipe la fortune qu’elle a héritée de son père, un patron industriel, mais, pour de petites dépenses, emprunte à son fils l’argent de sa tirelire. Dans l’Argentine des années 1970, alors que l’inflation galopante provoque de successives réformes monétaires, elle vit la frénésie de l’argent qui la conduit à un second divorce. Elle gagnera sa vie en faisant des traductions, comme son fils qu’elle appelle souvent pour qu’il vienne la tirer d’un mauvais pas : une dépense qu’elle n’a pas pu couvrir. À la mort de sa mère, le narrateur découvre dans les recoins de l’appartement de petits sachets qui contiennent quelques billets et pièces de monnaie. Ce sont les sommes minimes qu’elle lui a empruntées tout au long de sa vie ; étrange trouvaille qui matérialise le véritable lien affectif qui les unissait.

Alan Pauls souligne une particularité de sa vision d’écrivain : « Je me suis aperçu que la seule chose qui m’intéresse ce n’est pas d’écrire les faits, ni les événements, ni les actions, mais plutôt le moment, toujours tardif, où les faits, les événements, les actions prennent un sens pour quelqu’un » (in Lalittérature latino-américaine du XXIe siècle. Un parnasse éclaté, colloque de Cerisy, 2008). Le personnage principal de chacun de ses romans a quelque chose d’un Pierrot lunaire dont la vie, perçue au jour le jour, subit les impulsions d’autrui et s’inscrit, d’une façon apparemment ténue et pourtant tragique, dans les violentes turbulences de la réalité nationale argentine des années 1970-1990.

— François DELPRAT

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Écrit par

  • : professeur émérite, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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