BERG ALBAN (1885-1935)
Par ce qu'elles nous enseignent d'essentiel au niveau de la dialectique musicale, les œuvres maîtresses d'Alban Berg – Wozzeck, la Suite lyrique, le Concerto de chambre et, dans une certaine mesure, Lulu – s'inscrivent aujourd'hui de manière toute naturelle dans l'évolution esthétique de la musique depuis la fin du xixe siècle. Il n'en fut pas toujours de même, et Berg, considéré comme un « musicien du cœur », fut souvent opposé à Webern, regardé comme un « musicien de l'esprit ». Longtemps, l'idée d'un pont romantiquement jeté entre un passé wagnérien et un avenir dont on craignait le pire s'incarna dans l'auteur du Concerto pour violon « À la mémoire d'un ange », dont l'harmonisation « sérielle » d'un choral de Bach rassura un public désemparé par certains défis de la Suite lyrique ou du Concerto de chambre. Le rapprochement de ces deux « périodes » de l'art bergien marque bien, du reste, la contradiction profonde que le compositeur assumera, non sans courage, dans la dernière partie de son œuvre.
Le langage
Se posant en transgression (au sens littéral d'« aller au-delà »), la méditation tonale de Wozzeck (acte III, interlude en ré mineur) était une audace ; la réconciliation sérielle avec un monde tonal, nostalgiquement retrouvé, témoigne, dans le Concerto « À la mémoire d'un ange », d'une angoisse créatrice profonde, devenue aujourd'hui, pour certains, une erreur de langage.
Car c'est bien du langage et de son articulation dont il faut parler en premier lieu, si l'on cherche à définir la profonde influence de Berg sur la musique et le spectacle. Et, probablement, au sens qu'il conférait à la notion de structure, c'est-à-dire à celui d'une relation de connaissance, de communication, d'efficacité entre le monde et lui. Rapport nouveau, parce que organiquement musical, entre signifiant et signifié : prémonition étonnante de la valeur structurante du symbole, définie par l'école psychanalytique moderne.
Berg élabore également une dialectique subtile entre structures fixes et structures plus libres, entre forme obligée et forme immédiate (sécrétée par le matériau mis en œuvre), dialectique que l'on retrouvera dans l'opposition du « concerté » à l'« aléatoire ».
De plus, en organisant un « espace-temps » sonore dans lequel l'inconscient de l'auditeur se trouve naturellement sollicité à travers tout un réseau de « mémoires » et de « prémonitions », l'auteur de Wozzeck construit un « présent » musical en lequel l'œuvre se trouve, chaque instant, dans sa totalité. C'est le cas, particulièrement, pour Wozzeck, le Concerto de chambre et, par certains points, Lulu.
Enfin, et ce n'est pas le moins important, le « mathématicien-poète » (comme certains l'ont nommé) résolut, en son temps, l'absurde et byzantin conflit forme-fond, quand il écrivit notamment : « ... c'est un postulat qu'il faut admettre au préalable : pour quiconque possède le don de penser musicalement, comprendre le langage jusqu'en ses moindres détails équivaut à comprendre l'œuvre elle-même. »
On peut penser que ce postulat est bien celui que posent implicitement les véritables artistes d'aujourd'hui et à propos de disciplines autrement signifiantes que la musique : le cinéma et la littérature, par exemple.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Michel FANO : compositeur
Classification
Médias
Autres références
-
WOZZECK (A. Berg)
- Écrit par Juliette GARRIGUES
- 1 569 mots
L’histoire de l’opéra Wozzeck d’Alban Berg est tirée d’un fait divers : en 1821, à Leipzig, un ancien soldat, Woyzeck, poignarde sa maîtresse ; il sera décapité le 27 août 1824 sur la place publique. Georg Büchner écrit les premières esquisses de Woyzeck en 1836, mais meurt du...
-
WOZZECK (A. Berg), en bref
- Écrit par Christian MERLIN
- 204 mots
La création, le 14 décembre 1925, à la Staatsoper Unter den Linden de Berlin, du Wozzeck d'Alban Berg va communiquer une impulsion sans précédent et susciter en même temps une prise de conscience : l'opéra moderne est possible. Richard Strauss ou Puccini, qui triomphent à la même...
-
ADORNO THEODOR WIESENGRUND (1903-1969)
- Écrit par Miguel ABENSOUR
- 7 899 mots
- 1 média
...présent dans le champ de la connaissance, de l'éthique et du politique, ne fait-il pas de nouveau irruption quand Adorno dévoile les affinités entre Alban Berg et Malher ? Les opéras de Berg, « le maître de la transition infime », Wozzeck et Lulu reposent « sur l'identification avec la victime,... -
ATONALITÉ
- Écrit par Juliette GARRIGUES et Michel PHILIPPOT
- 4 382 mots
- 9 médias
...composition à douze sons. Il applique cette méthode à une œuvre entière dans la Sérénade op. 24 (1923) et dans la Suite pour piano op. 25 (1923). Berg emploie le dodécaphonisme sériel dans ses dernières œuvres : la Suite lyrique, pour quatuor à cordes (1925-1926), son opéra inachevé Lulu... -
BAIRD TADEUSZ (1928-1981)
- Écrit par Alain PÂRIS
- 999 mots
Moins connu en France que Penderecki ou Lutosławski, Baird fait partie, comme eux, des figures marquantes de la musique polonaise contemporaine, à laquelle il a apporté un langage nouveau dans un style authentiquement slave qui lui valut d'emblée l'adhésion populaire.
Tadeusz Baird...
-
BOULEZ PIERRE (1925-2016)
- Écrit par Michel FANO
- 4 028 mots
- 2 médias
Le second opéra deBerg, Lulu, dont le compositeur n'avait pu achever l'orchestration, était, depuis sa mort, représenté sans le troisième acte. Encore les traditionalistes, qui croyaient servir la mémoire du compositeur en mutilant son œuvre. Cela ne pouvait que motiver le Boulez militant, qui confia... - Afficher les 11 références