BERG ALBAN (1885-1935)
L'évolution de l'œuvre
Si l'on considère maintenant l'œuvre d'Alban Berg dans son ensemble, on est tenté d'en comparer l'évolution à celle d'un opéra en trois actes. Le nombre 3, du reste, devait toujours conserver pour Berg une valeur quasi magique, non dénuée, toutefois, d'un certain humour. On pourrait aussi figurer ce parcours sous la forme d'une arche dont Wozzeck, la Suite lyrique et le Concerto de chambre seraient la clé de voûte.
Mais, contrairement à ce que l'on peut constater dans ces trois œuvres, il apparaît que le dernier acte du drame bergien ne constitue, par rapport aux deux premiers, ni une synthèse, ni une ascèse. Du schème A-B-A', le compositeur semble n'avoir retenu que le retour en arrière, marque de la contradiction déchirante qui opposa pour lui, toujours davantage, le monde tonal au monde sériel. De la retombée de l'arche bergienne, le troisième acte de Lulu ne serait-il pas l'image ?
Préparation
1900-1914 : Ier acte, les œuvres de préparation, d'initiation ; le travail avec Schönberg, dont il faut retenir la Sonate pour piano, opus 1 (composée en 1907 et 1908, créée le 24 avril 1911, en même temps que le Quatuor à cordes opus 3), qui conclut leur relation de maître à élève, et dans laquelle les rapports sonores multiples, infiniment plus étroits que ceux envisagés par les formes du passé, laissent prévoir l'économie structurelle à venir. Le Quatuor opus 3 annonce déjà la Suite lyrique, pour quatuor à cordes, qui sera écrite quinze ans plus tard (1925-1926). Le matériau harmonique de Traumgekrönt, une des Sept Mélodies de jeunesse (1905-1908), orchestrées par Berg en 1928 alors qu'il entreprenait l'écriture de Lulu, sera repris dans l'un des motifs de l'opéra. Des liaisons profondes sous-tendent ainsi l'ensemble de l'œuvre, comme les diverses scènes des deux opéras. Il en est de même pour les Altenberglieder opus 4 (cinq lieder avec orchestre sur des textes de cartes postales du poète autrichien Peter Altenberg, 1912) et, surtout, les trois Pièces pour orchestre, opus 6, par rapport à Wozzeck. Des mélodies pour chant et piano et les Quatre Pièces pour clarinette et piano, opus 5, font partie également de ce premier acte, celui de la découverte, qui devait aboutir aux faîtes de la production d'Alban Berg.
Sommets
1917-1926 : IIe acte. Trois œuvres magistrales : Wozzeck, le Concerto de chambre, la Suite lyrique, de matériel sonore très différencié (grand orchestre et voix, orchestre de chambre, quatuor à cordes), organisent l'acte central et constituent, sans nul doute, une des séquences les plus fondamentales de l'histoire de la musique.
Wozzeck d'abord, opéra en trois actes, d'après Büchner, sur lequel il travaille de 1914 à 1922. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que Berg posait l'équation du rapport musique, parole et scène dans les termes : a2 + b2 = c2 ; ajoutant que, dans un tel cas, si la musique n'occupait pas toujours la place de l'hypoténuse, une telle relation constituait pour lui, tant dans la composition que dans la représentation, l'idéale section d'or...
On vérifie en effet, dans Wozzeck, une adéquation totale entre la nécessité dramatique et la vie profonde de la musique. Le geste est « partie » du discours musical, l'acte et la musique se confondent. Le sujet de l'opéra (après un important travail du musicien sur le texte de Büchner) n'est ici qu'un « programme », une « fonction », qui commandent un ensemble d'opérations destinées à faire entrer en symbiose la totalité des composants : musique, texte, action scénique. Métabolisme de l'œuvre, le contenu (apparemment expressionniste, pour certains) devient forme : l'œuvre est rituelle.
Aujourd'hui, cet aspect de [...]
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Écrit par
- Michel FANO : compositeur
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