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ALBANIE, archéologie

L'archéologie n'était pas une discipline neutre dans les anciens pays communistes de l'Est : aussi bien la volonté d'écrire une histoire officielle, à la fois nationale et dans le vent de la philosophie du régime, que celle de remodeler le paysage en éliminant les monuments jugés obscurantistes au profit de ceux qui célébraient l'avènement de la société nouvelle se sont exprimées dans le domaine archéologique par une politique de fouilles et de publications. Des crédits importants ont été affectés à des travaux qui ont donné de bonnes publications scientifiques, même si la valeur des chercheurs a pu être masquée par des insuffisances techniques (dans la méthodologie des fouilles, l'information bibliographique, la qualité des reproductions) et surtout par un contrôle politique qui entendait imposer sa « vérité officielle », tout en suscitant des contacts avec les archéologues « occidentaux ».

C'est dire l'importance des bouleversements entraînés par l'effondrement du régime communiste, tout particulièrement en Albanie, dont l'indépendance ne remontait qu'à 1912, tant Enver Hodja avait voulu tirer parti de l'archéologie dans sa politique nationale (il faut lire dans le Grand Hiver d'Ismaël Kadaré, récit de la rupture avec la Russie en 1960, les pages consacrées au conflit entre site archéologique et base militaire). L'aménagement de la grande place de Tirana l'affirme hautement. Si le centre était marqué par la gigantesque statue (abattue en 1992) du père fondateur de la patrie socialiste, tout le côté sud était occupé par le Musée historique — en fait archéologique — relatant une histoire dont la mosaïque de la façade résumait l'enseignement : la farouche volonté d'indépendance affirmée au cours d'incessants combats contre ses agresseurs successifs par le peuple maître de cette terre depuis la plus haute antiquité.

La tâche de l'archéologie était donc de faire connaître les habitants d'un pays où les documents écrits restent très peu nombreux jusqu'à une date récente, et de démontrer la continuité, au moins depuis le Néolithique récent (env. 5000 av. J.-C.), d'un peuple qui n'a longtemps été connu que par des auteurs grecs, latins, byzantins, italiens, turcs, sous des noms successifs : Illyriens dans l'Antiquité, Albères au Moyen Âge, puis Albanais, alors qu'il se dénomme lui-même Shqipetar. La volonté de se rattacher à des ancêtres antiques ne surprendra pas les Français attachés à leurs origines gauloises, et l'originalité des parlers albanais qui appartiennent à un rameau indo-européen bien différent des langues voisines, grec et slave, ne s'oppose pas à la thèse d'une continuité du peuplement. Mais les Illyriens débordaient bien loin vers le nord les frontières de l'Albanie actuelle cependant qu'ils n'étaient pas les seuls habitants du pays : les tribus grecques d'Épire avaient construit dans le sud du pays des cités bien différentes des forteresses illyriennes comme Lissos, cependant que d'autres Grecs, venus surtout de Corinthe et de Corfou, avaient installé sur la côte des colonies dont les plus importantes étaient Epidamne-Dyrrachion (l'actuelle Durrës) et Apollonia. Donc un patrimoine archéologique très riche, d'autant plus varié que le relief très accidenté fait voisiner des montagnards pasteurs, des cultivateurs dans les plaines et des bourgeoisies urbaines : au début de l'Empire byzantin, Dyrrachion, au point de départ de la via Egnatia qui traverse les Balkans jusqu'à Byzance, voit son développement favorisé par l'avènement au trône d'un de ses fils, l'empereur Anastase (491-518). Partout, d'immenses remparts, souvent admirablement conservés, témoignent d'une intense activité guerrière qui ne se dément pas depuis les premiers[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à la Sorbonne, membre de l'Institut

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