MAGNARD ALBÉRIC (1865-1914)
Le compositeur Albéric Magnard est l'un des seuls symphonistes de grande envergure qu'ait connu la France à l'aube du xxe siècle. Bien que son père, rédacteur en chef du Figaro, lui ait offert toutes les facilités pour réaliser une brillante carrière, il refuse ses interventions et suit, en solitaire, un chemin en marge des circuits musicaux de son temps. Après avoir reçu une formation juridique, il entre au Conservatoire de Paris en 1886, où il travaille avec Jules Massenet et Théodore Dubois. Il s'y lie d'amitié avec Guy Ropartz, qui sera par la suite l'un de ses plus fervents défenseurs. Puis il suit les cours de Vincent d'Indy à la Schola Cantorum (1888-1892) et compose, à la même époque, sa Première Symphonie (1889-1890) et son premier ouvrage lyrique, Yolande (1888-1891), représenté à la Monnaie de Bruxelles en 1892. Il voyage beaucoup et collabore de façon éphémère au Figaro. En 1897, il remplace pendant quelques mois Vincent d'Indy à la Schola, seule fonction officielle qu'il acceptera d'occuper. Très méfiant de nature, il limite la diffusion de ses œuvres à une élite privilégiée sans passer par l'intermédiaire d'un éditeur. Il préfère les faire imprimer à son propre compte. Cette méfiance explique pourquoi il fallut attendre les années 1980-1990 pour que sa musique soit redécouverte.
En 1899, il organise un concert de ses propres œuvres qui permet d'entendre notamment la Symphonie no 2 et la Symphonie no 3 : il s'agit d'une révélation pour le monde musical ; mais Magnard n'exploite pas la situation. En 1904, il achète à Baron (Oise) un manoir où il se retire, loin de la capitale. Seul Guy Ropartz, à Nancy, agit inlassablement en faveur de son ami, dont il dirige les principales œuvres. En 1911, l'Opéra-Comique crée Bérénice. Le 3 septembre 1914, Albéric Magnard meurt sous les balles allemandes en défendant, seul, son manoir de Baron, que ses idéaux l'empêchaient de livrer à l'envahisseur.
Personnalité complexe, en réaction contre les idées de la bourgeoisie aisée dont il était issu, Magnard a cherché durant sa vie un idéal terrestre satisfaisant une soif de vérité et de moralité qu'aucune religion n'épanchait à son goût. Il se passionne pour l'affaire Dreyfus, qui donne naissance à l'Hymne à la justice. Il confie l'impression de ses œuvres à une coopérative ouvrière qui abuse de sa générosité ; féministe, misanthrope, intransigeant, c'est un optimiste de nature, parfois un peu naïf, qui vire au scepticisme et au pessimisme par idéalisme blessé. Sa vision artistique est en dehors de son temps : il voit plus loin, et si l'effort paraît stérile dans l'immédiat, à long terme rien n'est perdu.
L'œuvre de Magnard est celle d'un symphoniste pur. On a souvent évoqué l'influence beethovénienne, révélée surtout dans le respect des formes classiques. Mais Magnard se présente davantage comme un Brahms français. Son caractère excessif le pousse à refuser tous les excès de ses contemporains : la musique à programme, le chatoiement harmonique, l'écriture cyclique et le chromatisme, malgré une influence wagnérienne indéniable. Il se réfugie dans les formes traditionnelles de la musique (sonate, symphonie), qu'il transcende par la richesse de ses idées. Son écriture est essentiellement contrapuntique et son orchestration, d'un effectif comparable à celle de Beethoven et de Brahms, repose avant tout sur les cordes.
Magnard a laissé quatre symphonies, trois poèmes symphoniques (Chant funèbre, 1895 ; Hymne à la justice, 1902 ; Hymne à Vénus, 1903-1904), plusieurs sonates (violon-piano, 1901 ; violoncelle-piano, 1909-1910), un quatuor à cordes (1902-1903), un quintette pour piano, flûte, hautbois, clarinette et basson (1894), des mélodies, des pièces[...]
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Écrit par
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
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