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COHEN ALBERT (1895-1981)

Albert Cohen - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Albert Cohen

Au début de l'année 1933, dans les semaines qui précèdent l'élection d'Adolf Hitler et la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes, les journaux allemands font de Solal, roman d'Albert Cohen, qui vient d'être traduit, un éloge démesuré : la Vossische Zeitung du 12 mars compare l'écrivain à Shakespeare et trouve dans le livre des scènes dignes de Richard III. Dès sa parution chez Gallimard en 1930, ce premier volume du cycle romanesque qui devait aboutir en 1968 à la publication de Belle du Seigneur bénéficia d'une critique exceptionnelle. Dans l'histoire de Solal, ce jeune homme venu d'Orient, qui salue dès son arrivée à Genève la statue de Rousseau et à qui grâce aux femmes tout semble réussir, le lecteur voit un émule de Rastignac, un nouveau Julien Sorel. Mais Solal est juif et le mal du siècle donne au livre une autre dimension. Avec les traductions, le succès du roman devient universel : « Une œuvre stupéfiante », écrit le New York Herald Tribune ; pour le New York Times, Cohen, c'est Joyce, Caldwell, Rabelais réunis, avec en plus la magie des Mille et Une Nuits. Les critiques anglaise, autrichienne, italienne ou helvétique s'expriment sur le même ton. L'audience d'Albert Cohen dans le monde, à ce moment-là, est plus grande qu'elle ne le sera jamais. Ce n'est que peu de temps avant sa mort, après une longue éclipse, qu'on finira par lui rendre justice dans les pays de langue française : il n'en reste pas moins que la cassure qui marque son existence est essentielle à la compréhension de l'écrivain. Dans l'approche de l'œuvre, la tragédie du siècle – Seconde Guerre mondiale, génocide du peuple juif – est un phénomène capital.

« Je ne suis pas un écrivain »

Dès son entrée au royaume des lettres, Albert Cohen a été promis à la gloire, cette gloire qu'il sera contraint de refuser. Il finira par nier avec obstination son titre d'écrivain. Un entretien qu'il accorde au Magazine littéraire en 1979 débute ainsi : « Je dois le dire tout de suite : je ne suis pas un écrivain. » Cette attitude explique le long silence qui fut le sien. Célèbre en 1930, Albert Cohen n'aura plus qu'un petit nombre d'admirateurs dans les années cinquante ; il faudra, en 1954, la publication du Livre de ma mère, et en 1968, de Belle du Seigneur (qui lui vaudra le grand prix du Roman de l'Académie française), pour qu'on entende à nouveau parler de lui. Le 23 décembre 1977, Bernard Pivot dans son émission Apostrophes révèle à des millions de téléspectateurs qu'Albert Cohen est l'un des grands écrivains de notre temps. Les dernières années de sa vie, le romancier, qui vit tranquille dans son appartement de Genève, reçoit les honneurs de la consécration ; lui, l'oublié de la plupart des anthologies, entre enfin dans le dictionnaire ! Cette reconnaissance n'est qu'une consolidation : rien ne pouvait réduire les effets de la cassure. Dans Belle du Seigneur, Albert Cohen arrête le récit aux années trente ; le reste de son œuvre ne consacre que quelques phrases au temps du mépris et de l'abomination. Dire le malheur a été au-dessus de ses forces, il n'en a été que le prophète. « Non, Seigneur Ézéchiel, ils ne sont pas méchants, les Allemands, ils sont des fils, ils aiment leur Maman, ils chantent des jolies chansons. Seulement, ils ne comprennent pas que les Juifs ont mal quand on leur fait mal... » fait-il dire à Jérémie dans Ézéchiel, pièce jouée à la Comédie-Française en 1933. En 1938, Albert Cohen cesse de se vouloir écrivain et ce n'est pas là un échec ordinaire : il vient de publier Mangeclous, un chef-d'œuvre du roman comique. Éclat de rire gigantesque, ce roman est la suite de Solal, et constitue un nouveau pas dans la dérision.[...]

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Écrit par

  • : écrivain, critique littéraire, responsable des émissions littéraires de Radio Suisse romande

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Albert Cohen - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

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