DECARIS ALBERT (1901-1988)
Qu'un très grand graveur, récemment disparu, ait été davantage connu du grand public par les timbres-poste qu'il a gravés que par ses autres œuvres, voilà qui témoigne bien de la diffusion des arts, et de l'évolution de leurs supports économiques.
Né le 6 mai 1901, Albert Decaris entre à quatorze ans à l'école Estienne où il apprend la gravure, puis en 1918 à l'École des beaux-arts. Il obtient en 1919 le premier prix de Rome pour une gravure originale, Ève avant le péché. Il reste en Italie jusqu'en 1927, séjour qui le marquera définitivement et orientera ses goûts vers la mythologie gréco-romaine, la nature, le soleil, la mer et la civilisation méditerranéenne. En 1927, il envoie à l'Académie des beaux-arts sa grande planche L'Enlèvement d'Europe, la femme et le taureau, sujet qu'il devait reprendre une cinquantaine de fois par la suite.
Dans les années trente, le livre dit de luxe étant en vogue, les éditeurs et les sociétés de bibliophiles se disputent les graveurs. Decaris illustre alors les poèmes hellénisants de Léon Cathlin, ainsi que les Destinées de Vigny, les Lettres de Rome de Chateaubriand, le Livre des rois David et Salomon, Macbeth de Shakespeare, etc. En 1933, sa carrière prend un tournant quand Jean Mistler, alors ministre des Postes, lui demande, ainsi qu'à d'autres graveurs, de fournir des projets pour les timbres-poste que l'on peut désormais imprimer en taille douce grâce à de nouvelles machines installées boulevard Brune. Son premier timbre représente le cloître Saint-Trophime d'Arles, le deuxième le Normandie en 1936. Depuis lors, Decaris a toujours alterné la gravure des timbres-poste, qui prendra une part de plus en plus importante de son activité, et la gravure d'illustrations, sans négliger les fresques, comme celles des grandes expositions de 1937 à Paris ou de 1938 à New York. En 1943, il est élu à l'Institut (Académie des beaux-arts). Au cours des années quarante, il illustre l'œuvre de Corneille, ainsi que Don Quichotte. Il retrouve l'Antiquité en donnant des illustrations de L'Iliade, de la mythologie d'Émile Henriot, des Odes d'Anacréon, de la Vie des hommes illustres de Plutarque, des Métamorphoses d'Ovide, etc. En même temps, il grave plus de cinq cents timbres-poste pour la France, Monaco et les pays francophones d'Afrique. Parmi les timbres qui l'ont rendu célèbre auprès des collectionneurs bien sûr, mais aussi auprès du grand public, on peut citer en particulier la série « Du Tchad au Rhin » parue à la Libération, une série de neuf timbres pour le centenaire d'Hector Berlioz (Monaco, 1969) et surtout une grande série brossant entre 1966 (Vercingétorix) et 1973 (Napoléon) une fresque de l'histoire de France en vingt-quatre timbres.
Peu à l'aise dans le symbole, et certainement pas dans l'abstrait, il excelle dans les scènes animées d'action ou de bataille, où l'on retrouve l'illustrateur romantique, voire épique, qu'il fut avant tout. Son style se reconnaît du premier coup d'œil à la maîtrise du dessin, la finesse de hachures, aux arrondis voluptueux, à la Renoir ou à la Maillol, de ses personnages féminins, ou à la mollesse guindée de ses Apollons androgynes. On peut regretter qu'il n'ait jamais illustré l'œuvre de Paul Valéry, avec qui il avait tellement en commun. Mais, plus que dans les livres des bibliophiles, il survivra dans les collections des philatélistes.
Bibliographie
A. Decaris, Catalogue des gravures et aquarelles exposées au musée de la Poste, 13 juin-13 sept. 1981
R. Duxin, « Decaris », in La Philatélie française, no 404, p. 59, févr. 1988
N. Frydlende, Catalogue de l'œuvre philatélique du maître graveur A. Decaris, Paris, 1985
P. Jullien, « Un titan au pays de la[...]
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Écrit par
- Jacques HANOUNE : directeur de recherche, INSERM U 99
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