HOFMANN ALBERT (1906-2008)
Né le 11 janvier 1906 à Baden (canton d'Argovie), le chimiste suisse Albert Hofmann est mort le 29 avril 2008 à Burg im Leimental (canton de Bâle-Campagne). Dans les années 1930, il avait ouvert des recherches sur des alcaloïdes (substances naturelles azotées) produits par la moisissure Claviceps purpurea Tul., parasite du seigle et d'autres graminées.
L'empoisonnement à l'ergot de seigle, via du pain contaminé, fut récurrent à l'époque médiévale, où il était appelé « mal des ardents » ou « feu saint Antoine ». À partir du xvie siècle, les sages-femmes usèrent de préparations d'ergot pour accélérer le travail des parturientes.
Hofmann commença la synthèse d'alcaloïdes de l'ergot en 1935. Combinant l'acide lysergique à la propanolamine, il obtint l'ergobasine, un agent thérapeutique (utérotonique). En 1938, Hofmann prépara le diéthylamide de l'acide lysergique, vingt-cinquième molécule de la série – d'où le sigle LSD-25 la désignant. Puis, durant la période 1938-1943, il synthétisa d'autres alcaloïdes de l'ergot. Trois d'entre eux devinrent des médicaments commerciaux, prescrits pour améliorer la circulation périphérique et les fonctions cérébrales.
Le département de pharmacologie de Sandoz ne jugeait pas le LSD-25 prometteur. Mais Hofmann avait l'intuition que ce composé méritait mieux. En préparant à nouveau un échantillon, le vendredi 16 avril 1943, il éprouva des sensations bizarres, une agitation et un léger étourdissement. Il décida d'expérimenter le composé sur lui-même dès son retour au laboratoire le lundi suivant, où il ingéra une dose de 0,25 mg. Une telle expérimentation sur soi-même, dangereuse mais dans la tradition d'un geste issu de la pharmacie, encore courante au xixe siècle, était rarissime au xxe siècle. Elle témoignait d'une abnégation de chercheur, porté par sa curiosité.
C'est ainsi qu'Albert Hofmann découvrit le LSD. Ce fut l'un des événements les plus surprenants de l'histoire de la chimie organique, pourtant riche en épisodes piquants. À la date du 19 avril 1943, son cahier de laboratoire porte l'indication suivante, à 17 heures : « début d'étourdissement, sensation d'angoisse, déformations visuelles, symptômes de paralysie, envie de rire ». Hofmann demanda à son assistante de laboratoire de l'accompagner dans son retour à la maison ; ils montèrent sur leurs vélos. À cette époque de la Seconde Guerre mondiale, et même en Suisse, l'accès aux automobiles était en effet strictement réglementé. « Sur le chemin du retour, mon état commença à prendre une tournure inquiétante. L'ensemble de mon champ visuel était déformé et flottant, comme vu dans un miroir déformant. J'avais aussi la sensation d'être devenu incapable de mouvement. [...] Mon vertige et l'impression que j'avais de m'évanouir devinrent tels qu'à plusieurs moments je devins incapable de me tenir debout, et dus m'allonger. [...] Mon environnement avait des aspects terrifiants. Tout dans la pièce où je me tenais se mit à tourner, les objets familiers et le mobilier prirent des formes bizarres et inquiétantes. [...] Une voisine m'apporta du lait – dont je bus plus de deux litres au cours de la soirée. Ce n'était plus Madame R., elle m'apparut comme une sorcière malveillante porteuse d'un masque coloré. »
On connaît la suite de l'histoire, l'expérimentation par des écrivains (Aldous Huxley, Henri Michaux...), la promotion par la contre-culture américaine et la vogue des substances psychédéliques qui s'ensuivit. De façon prémonitoire, Albert Hofmann avait connu, durant son enfance, plusieurs moments d'une euphorie profonde et visionnaire. Il se les rappela, comme une sorte de propédeutique à la découverte[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre LASZLO : professeur honoraire à l'École polytechnique et à l'université de Liège (Belgique)
Classification