JACQUARD ALBERT (1925-2013)
Généticien, essayiste et militant, Albert Jacquard est né en 1925 dans une famille jurassienne, catholique et conservatrice. Son enfance fut surtout marquée par un accident dramatique qui le laissera défiguré. Après des études brillantes à l’École polytechnique, Albert Jacquard devient haut fonctionnaire à la Seita (Société nationale d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes) puis au ministère de la Santé publique. Il entre en 1962 à l’Institut national d’études démographiques (I.N.E.D.) comme statisticien, mais son centre d’intérêt s’avère être la biologie ; il ne franchira ce pas décisif qu’à partir de quarante-cinq ans, en se spécialisant en génétique. Il devint alors un chercheur reconnu et aussi un remarquable vulgarisateur, résolument opposé à l’existence de races et prêchant partout la féconde reconnaissance des différences.
Lorsque, fascinés par les pouvoirs accordés à l’ADN, de nombreux généticiens internationaux prétendirent démontrer l’héritabilité de l’intelligence, Albert Jacquard – de même que le biologiste américain Richard Lewontin – contesta avec succès leurs prémisses et leurs calculs. Albert Jacquard a beaucoup enseigné la génétique des populations et y a consacré de nombreux écrits, y compris pour les enfants, travaux qui représentent un long et patient effort d’investissement dans le savoir pour favoriser une prise de conscience collective. C’est parce qu’il voyait dans l’éducation le premier principe de la liberté qu’Albert Jacquard multipliait conférences et écrits de vulgarisation, posant comme son devoir de n’être pas seulement un scientifique, mais d’abord un citoyen. Il fut l’un des premiers scientifiques à prendre conscience de la perversion de la science par les marchés et aussi de la relativité de nos savoirs, en particulier sur le vivant.
Ainsi, dans un livre magnifique paru en 1992, La Légende de la vie, le vulgarisateur précisait-il que « dans quelques années d’autres présentations nous seront sans doute fournies… Mon récit correspond à la lucidité actuellement possible. Il se veut “scientifique” ». Dans un autre essai, La Légende de demain (1997), Albert Jacquard eut aussi cette courte phrase, véritable gifle au mouvement transhumaniste naissant : « La frontière entre l’inanimé et le vivant est insignifiante ; la frontière entre l’Homme et la totalité du cosmos est irréductible. »
Le premier ouvrage qui fit reconnaître et aimer Albert Jacquard par le grand public fut l’Éloge de la différence (1978). Ce qui caractérise le mieux ce scientifique responsable, c’est effectivement son souci de l’Autre, qu’il a poussé jusqu’à la dépendance de l’Autre, ne trouvant pas le repos tant qu’il pouvait voir des personnes qui souffrent. Il détestait le mot compétitivité, qui marque à la fois le mépris des laissés pour compte et la fascination des puissants pour une croissance absurde. Contre la barbarie compétitive, Albert Jacquard, parfois allié à d’autres personnages inoubliables, tels que l’abbé Pierre ou Stéphane Hessel, s’engagea sur tous les fronts où quelque chose semblait encore possible pour défendre la dignité de certains hommes et la survie de tous.
Armé pour la justice plutôt que pour la politique, il soutint tout mouvement de la société pourvu qu’il fasse écho à l’idée qu’il se faisait du bien, essuyant parfois des revers qu’il assuma en toute responsabilité. Ses combats ont ainsi porté sur la défense des plus défavorisés (travailleurs étrangers, sans-papiers, sans domicile fixe, réfugiés palestiniens…), sur le maintien du lien indispensable entre tous les humains (notamment par la promotion d’une langue commune : l’espéranto), sur l’élimination de périls majeurs pour l’humanité (l’industrie nucléaire, civile et militaire) et même d’activités irrespectueuses des animaux (la corrida) ou de la [...]
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Écrit par
- Jacques TESTART : directeur de recherche honoraire à l'INSERM
Classification
Média