ALBERT LE GRAND (1193?-1280)
Le philosophe
L'œuvre philosophique d'Albert est de toute première importance : ses grandes paraphrases (Physique, Métaphysique, De l'âme, De la nature et de l'origine de l'âme, De l'unicité de l'intellect, De l'intellect et de l'intelligible, Du bien, Éthique, œuvres de logique) des textes d'Aristote étudiés avec les Arabes ont été le principal agent de la diffusion en Occident des philosophies grecques et arabes. Dans le monde latin jusque-là centré sur la spiritualité et la théologie, Albert a défini, le premier (mais il fut bientôt secondé par Thomas d'Aquin son disciple), la méthode philosophique : celle-ci vit d'une évidence obtenue par le travail rationnel de rattachement de toute vérité aux premiers principes évidents par soi. Elle jouit en son domaine d'une véritable autonomie, car la vérité révélée du théologien n'est pas en concurrence avec elle et demeure d'un niveau épistémologique transcendant. Tout en communiquant aux autres savoirs leur part de certitude (puisqu'elle est à la source de l'évidence), la philosophie ne les supplante pas ni ne peut y suppléer. Fait historique capital : Albert, parce que théologien, a délibérément émancipé la raison humaine et ses savoirs.
Parce que, à plusieurs reprises, Albert refuse de trancher un problème philosophique épineux comportant des difficultés opposées qu'il présente avec impartialité, on l'a taxé de syncrétisme et d'absence de rigueur. C'est là une erreur de lecture, car il ne fait ainsi qu'appliquer sa méthode : en philosophie, il revient à chacun d'élaborer pour soi-même une opinion personnelle. Albert a porté une grande attention aux doctrines néo-platoniciennes qu'il a recueillies des Arabes, de Denys et du De Causis (paraphrasé avec le traité Des causes et de la procession de l'Univers). Son génie philosophique en est pénétré et a inculqué cet intérêt aux Prêcheurs rhénans (ancêtres de la philosophie allemande) : Ulrich de Strasbourg, Maître Eckhart, Berthold de Moosbourg. Au xve siècle, un courant « albertiste », parfois opposé au thomisme, est apparu, notamment en Europe centrale.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Édouard-Henri WÉBER : dominicain, chargé de recherche au C.N.R.S.
Classification
Autres références
-
ANALOGIE
- Écrit par Pierre DELATTRE , Encyclopædia Universalis et Alain de LIBERA
- 10 427 mots
...comme participation graduelle à l'Esse » (P. Aubenque). Cette platonisation transparaît dans certaines définitions de l'analogie utilisées par Albert le Grand dans son commentaire sur les Noms divins du pseudo-Denys l'Aréopagite. Attribuée à Proclus, la caractérisation du deuxième mode de l'analogie... -
ANTHROPOMORPHISME
- Écrit par Françoise ARMENGAUD
- 7 544 mots
- 1 média
...la cause première. Ainsi s'effectue la recherche de l'ineffable : lorsque l'on pense à Dieu, ce qui peut encore être désigné par un nom n'est pas Dieu. Albert le Grand écrit (Tract., III, xvi) : « Dieu est à la fois innommable et omninommable. Il est innommable et l'Innommable est le plus beau de tous... -
AVICENNE, arabe IBN SĪNĀ (980-1037)
- Écrit par Henry CORBIN
- 8 902 mots
- 1 média
...une nette influence, certes, mais finalement au prix d'une altération radicale. On relèvera, en premier lieu, l'intérêt des références à Avicenne chez Albert le Grand, dans ses œuvres minéralogiques. Maître Albert a lu dans la physique d'Avicenne qu'une certaine force est immanente à l'âme humaine, une... -
AVICENNISME LATIN
- Écrit par Alain de LIBERA
- 6 601 mots
Quand, en plein xiiie siècle, Albert le Grand écrit que l'on ne peut connaître le vrai sans grâce, car « même si on a la science habituelle de quelque chose on n'actualisera ce savoir virtuel qu'en se tournant vers la lumière de l'Intellect incréé », il est, à sa manière, dans la mouvance du ... - Afficher les 7 références