HIRSCHMAN ALBERT OTTO (1915-2012)
Albert Otto Hirschman naît le 7 avril 1915 dans une famille juive non pratiquante de la moyenne bourgeoisie berlinoise. Le jeune homme est élève au lycée français et adhère à l'âge de seize ans aux jeunesses sociales-démocrates. Étudiant à Berlin durant l'année 1932-1933, la mort de son père et l'arrivée d'Hitler au pouvoir l'incitent au départ. Il poursuit alors ses études en France (École des hautes études commerciales, Institut de la statistique de la Sorbonne) puis au Royaume-Uni (London School of Economics). En 1936, il s'engage quelques mois en Espagne dans les Brigades internationales. Jusqu'en 1938, il occupe un poste d'assistant à l'université de Trieste où il soutient une thèse sur le franc Poincaré. De retour en France, Hirschman s'enrôle dans l'armée. Installé à Marseille après la débâcle, il s'implique dans un réseau d'aide aux réfugiés. En décembre 1940, il doit se résoudre une nouvelle fois à l'exil, et gagne les États-Unis. En 1941, boursier de la fondation Rockefeller à l'université Berkeley, il travaille à son premier ouvrage, National Power and the Structure of Foreign Trade, qui paraît quatre ans plus tard. Devenu citoyen américain en 1943, il s'engage dans l'armée, qui l'envoie combattre en Afrique du Nord puis en Italie. En 1946, il rejoint le Bureau de la réserve fédérale et travaille dans le cadre du plan Marshall. En 1952, il part en mission en Colombie en tant que conseiller financier du Bureau national de planification puis devient consultant dans le secteur privé. À partir de 1956, il revient enseigner à l'université, d'abord à Yale, puis à Columbia, Harvard et, enfin, Princeton où il prend sa retraite en 1985. Il meurt à Ewing (New Jersey) le 10 décembre 2012.
L'œuvre d'Hirschman rayonne largement au-delà de l'économie, vers les sciences politiques et la sociologie en particulier. Elle est à la fois brillante, hétérodoxe et porteuse d'une exigence démocratique sans faille. Les premiers travaux sur le développement doivent beaucoup à l'expérience colombienne, où le jeune économiste constate avec irritation que les experts américains ne font qu'appliquer des schémas technocratiques sans tenir compte de la réalité du pays et de la rationalité cachée de ses habitants. Hirschman propose un paradigme alternatif dont il livre les clés dans The Strategy of EconomicDevelopement (1958), JourneysTowards Progress (1963), DevelopmentProjectsObserved (1967) et enfin A Bias for Hope (1971). Pour faciliter le développement, il importe moins de combiner de façon optimale les facteurs de production et d'assurer la croissance conjointe de toutes les branches d'activité que de cultiver le déséquilibre. À cette fin, les « effets de liaisons » sont d'utiles alliés. Le fait de favoriser la croissance d'un secteur particulier n'est pas une absurdité puisque celle-ci peut entraîner, par induction, celle de branches d'activités complémentaires. De même, contrairement à ce qui est habituellement préconisé, Hirschman suggère d'équiper les pays sous-développés en outillage complexe et exigeant, de manière à faire croître très rapidement, presque sous contrainte, la qualification de leurs utilisateurs. Il n'existe pas, ajoute Hirschman, un modèle unique, linéaire et optimal de développement.
La capacité d'Hirschmann à se jouer des croyances dominantes et des frontières académiques révèle à nouveau toute sa vertu heuristique dans l'un de ses ouvrages les plus connus, paru en 1970, Exit, Voice and Loyalty. L'essai s'inspire de l'échec des chemins de fer nigérians, impuissants face à la concurrence de la route. En ce cas, constate Hirschman, le marché aggrave les problèmes plutôt qu'il n'aide à les résoudre, preuve que les systèmes économiques,[...]
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Écrit par
- Michel LALLEMENT : professeur de sociologie au Conservatoire national des arts et métiers
Classification
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