SOBOUL ALBERT (1914-1982)
L'historien des sans-culottes
Au terme d'une enquête minutieuse, qui était pour l'époque un modèle d'histoire sociale et préfigurait ce qu'allait être l'histoire des mentalités collectives, l'érudit marquait les différences entre les prolétaires du xixe siècle et les sans-culottes, artisans issus de l'échoppe et de la boutique, petits patrons et compagnons unis par la même haine de l'aristocratie de la naissance ou de la fortune. Décrivant leurs aspirations, Soboul les présentait comme celles d'une arrière-garde économique ; étudiant leurs tendances et leurs pratiques politiques, il en soulignait le caractère novateur. Suivant dans le détail la poussée populaire de 1793, mouvement autonome face à la Convention, il en montrait les victoires (l'établissement de la Terreur) mais y faisait apercevoir aussi les prémices d'une défaite. Il ne cachait pas l'opposition entre des sans-culottes antiparlementaires, attachés à la démocratie directe et soucieux d'un contrôle économique, et des jacobins, hommes d'ordre, liés à la démocratie représentative et qui n'acceptaient que pour un temps l'intervention de l'État pour limiter la loi du marché. Le drame du 9 thermidor, concluait-il, était inscrit dans les contradictions internes de la sans-culotterie comme dans celles qui existaient entre sans-culottes et robespierristes.
Ces contradictions, Soboul les vivait personnellement : entre le « coup de cœur » pour les sans-culottes avec lesquels il se sentait d'emblée « en fraternité » et la raison qui le portait à célébrer Robespierre et ses amis, organisateurs de la victoire, il fut continuellement tiraillé. En 1957, il montrait plus de sympathie pour le mouvement populaire que pour le système robespierriste, coupable d'avoir « glacé » la Révolution. C'était, comme le fera remarquer Maurice Agulhon, plus que nuancer la vulgate stalinienne, et, à lire la thèse, on pouvait sentir « comme une petite brise non conformiste ».
Tant comme professeur et chercheur (les deux pour lui ne formaient qu'un) que comme coprésident de la Société des études robespierristes et secrétaire général des Annales historiques de la Révolution française, Soboul créa ou suivit de près de multiples chantiers historiques. Dans l'institut qu'il dirigeait, le chercheur français côtoyait l'Américain, le Soviétique, le Japonais ou le Chinois. C'est que Soboul ne ménageait pas sa peine pour que l'histoire de la grande nation restât sur les lèvres de tous les hommes. C'est qu'il voyait aussi dans l'étude comparative des révolutions un moyen de mieux comprendre la France de 1789. À l'intérieur de son séminaire, l'historien de l'armée rencontrait celui qui travaillait sur l'économie de l'an II, le chercheur qui enquêtait sur la déchristianisation parlait avec celui qui « traquait » dans les archives les bourgeois parisiens. Les plus nombreux étaient ceux qui, à l'invite de Soboul, continuaient le travail de Lefebvre sur la France rurale. C'était là pour le maître, dans les dernières années de sa vie, un lieu de recherches privilégié et ses contributions à l'histoire de la paysannerie française de 1789 à l'Empire font autorité. Dans ce séminaire, la liberté de parole était grande et la vivacité des propos qui s'y échangeaient illustrait ce que Soboul disait de la Révolution : « Fille de l'enthousiasme, elle enflamme les cœurs par le souvenir des luttes pour la liberté et l'indépendance, comme par son rêve d'égalité fraternelle. »
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Écrit par
- Jean-Paul BERTAUD : professeur d'histoire moderne à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, agrégé de l'Université, docteur ès lettres
Classification
Autres références
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RÉVOLUTION FRANÇAISE
- Écrit par Jean-Clément MARTIN et Marc THIVOLET
- 29 554 mots
- 3 médias
...pays, doit donc être comprise au travers d'inlassables dépouillements d'archives dans une optique résolument économique et sociale, sur fond de marxisme. Cette école, dont Albert Soboul prendra la tête par la suite, va diffuser durablement son enseignement, mais se trouve mêlée à de nouvelles luttes historiographiques....