BURRI ALBERTO (1915-1995)
Peintre abstrait, Alberto Burri fit une entrée tumultueuse sur la scène artistique des années 1950 en intégrant à sa pratique picturale des objets aussi dérisoires que des sacs de jute ou de vieux chiffons déchirés. En faisant de leur trame usée le tableau lui-même, « l'artiste, écrit Jean Leymarie, contraint la matière brute à devenir directement forme pure, sans perdre sa consistance réelle et sa vérité concrète ».
Une quête de la matière
Né en 1915, à Città di Castello, dans la province de Pérouse (Italie), Alberto Burri fut d'abord médecin. En 1941, lors de la Seconde Guerre mondiale, il est fait prisonnier par les Anglais, puis transféré dans le camp américain de Hereford, au Texas. En profond désaccord avec la situation politique italienne de l'époque, il reste aux États-Unis, s'isole et commence à peindre en autodidacte. Lorsque Alberto Burri rentre en Italie en 1946, il renonce à sa profession et décide de se consacrer uniquement à la peinture. Il s'installe à Rome, où a lieu sa première exposition personnelle, en 1947, à la galerie La Margherita ; il présente des paysages et des natures mortes, aux lignes schématiques, dont il reste peu de témoignages. Un an plus tard, il expose ses premières œuvres abstraites, constituées de graphismes linéaires. En 1951, Alberto Burri participe à la création du groupe Origine, avec Mario Balloco, Ettore Colla et Giuseppe Capogrossi, qui rejette les effets décoratifs de l'art abstrait, et prône la permanence d'un souci constructif, comme la réduction de la couleur à sa fonction la plus simple, mais péremptoire et incisive.
À la même époque, Burri commence à travailler à partir de matériaux jusqu'alors inusités comme la pierre ponce, le goudron, le sable, la sciure et les terres qu'il incorpore à l'huile. Ainsi naissent les séries intitulées Neri (« noirs »), Muffe (« moisissures ») ou Catrami (« goudrons ») aux tonalités sourdes, qui s'imposent en tant que propositions monochromes virulentes, dont le matériau souvent ravagé est de caractère organique. Peintre « informel », l'artiste fidèle à la structure première de sa toile met en avant le travail de la matière, qu'il triture, malaxe ou boursoufle à l'excès pour en révéler les possibilités expressives au détriment de l'illusion visuelle. Puis avec les Sacchi (« sacs »), assemblage de fragments de toile de jute et de vieux chiffons déchirés, troués ou grossièrement rapiécés, l'artiste impose à ces matériaux de se substituer ostensiblement à la peinture, tout en demeurant des fragments de réalité. Bien plus, refusant d'abandonner l'idée du cadre traditionnel, et contre toute logique de la représentation, Burri leur donne le statut de formes pures.
Le peintre, qui s'est toujours refusé à toute explication par trop symbolique de son travail et s'en tient catégoriquement aux nécessités plastiques, dit, en évoquant l'une de ses œuvres : « Ce que je veux exprimer est contenu dans la peinture même. [...] J'ai utilisé un grand espace rouge qui se répand en avant et dans toutes les directions. Quant aux autres éléments, ils s'y relient en une chaîne complète de forces et de tensions. Mais cela n'est que la structure architecturale. Pour le reste, je n'ai rien à ajouter. » Une seule de ses toiles de l952 porte un titre allusif : Umbria vera, qui fait référence à sa terre d'origine. Burri continuera pendant une dizaine d'années à produire des Sacchi dont les formats vont s'élargir, déclinant leurs fibres grossières, leurs accrocs et leurs reprises, auxquels viennent se joindre les trois couleurs que l'artiste a choisi de privilégier : le blanc pour le jour, le noir pour la nuit et le rouge pour le sang.
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Écrit par
- Maïten BOUISSET : critique d'art
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