Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

GIACOMETTI ALBERTO (1901-1966)

Peu de destins plus singuliers, dans l'histoire de l'art contemporain, que celui du sculpteur suisse Alberto Giacometti. Célèbre dans les années trente, fêté par les surréalistes, présent au sommaire de toutes les revues d'avant-garde, il semble s'effacer de la scène artistique à partir de la Seconde Guerre mondiale, car il apparaît comme à contre-courant des grands mouvements de l'esthétique du temps. C'est seulement vers 1960 que s'achève sa longue traversée du désert : rétrospectives, hommages, prix et grand prix (celui de la Biennale de Venise en 1962) se succèdent, consacrant soudain une démarche sans précédent et restée sans héritier.

En 1969, l'exposition du musée de l'Orangerie à Paris, en rassemblant plus de trois cents numéros couvrant l'œuvre sculpté, l'œuvre peint et l'œuvre graphique, offrait les aspects successifs d'une recherche jusque-là restée presque secrète et la complexité d'une figure déjà devenue légendaire trois ans seulement après sa disparition. Dès 1950, cependant, des philosophes comme Sartre et Merleau-Ponty, des écrivains comme Jean Genet, Georges Bataille, Michel Leiris, des poètes comme Francis Ponge, René Char, Yves Bonnefoy, André Du Bouchet témoignaient de l'importance unique de cette œuvre en laquelle ils reconnaissaient une communauté de préoccupations avec leur propre démarche. C'est en effet par rapport aux courants existentialistes et phénoménologiques de l'après-guerre que l'œuvre de Giacometti prend toute sa signification. Elle est, dans les arts plastiques, le parallèle exemplaire de ces philosophies de l'humanisme athée qui devaient tirer les conséquences extrêmes de la « mort de Dieu ». L'érotisme et l'angoisse, le désir et l'absurde, l'être et l'étant, l'être-pour-la-mort enfin : d'Éros à Thanatos, l'œuvre de Giacometti a décrit les divers points d'une spirale rigoureuse dont on ne fait peut-être que commencer de saisir les lois de construction interne et la solidaire grandeur.

La tentation cubiste

Il est difficile de parler de Giacometti sans évoquer sa terre natale, le petit hameau de Stampa, dans la haute vallée des Grisons, au cœur de ce « paysage métaphysique » que venait d'illustrer la présence ou le passage d'un Nietzsche, d'un Rilke ou d'un Segantini, dominé par la crête aiguë et dépouillée des monts qui sont, écrit André du Bouchet, « comme le surplomb aveuglant que toute figure de Giacometti suppose » ; sans évoquer encore la caverne où, enfant, il passait des heures entières, et que le minuscule atelier du 46 de la rue Hippolyte-Maindron semblera plus tard reconstituer. Il est l'aîné des enfants d'Annetta et de Giovanni Giacometti (1868-1933), peintre post-impressionniste de renom. Deux artistes encore dans sa famille : son cousin, Augusto Giacometti (1877-1947), en qui l'on voit parfois un précurseur du tachisme, et son propre frère, Diego, sculpteur lui-même et ornemaniste, qui l'assistera fidèlement toute sa vie, fondant les plâtres au fur et à mesure de leur production, les sauvant souvent d'une ruine certaine, abandonnés qu'ils étaient aussitôt conçus, sans jamais qu'Alberto songeât à les considérer autrement que comme les approches imparfaites d'un projet toujours poursuivi et dont seule l'œuvre en cours concrétisait l'espoir.

La première œuvre qu'on connaisse de lui est un petit buste de son frère Diego, qu'il exécute à treize ans, d'une autorité étonnamment précoce, fruit d'une sorte de grâce innocente qui obtiendrait tout sans avoir eu à chercher. Dès 1921, cependant, apparaissent des déformations singulières qui traduisent les premières « impossibilités » à réaliser exactement la sensation d'un volume dans l'espace : les apparences semblent se dérober[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • L'HOMME QUI MARCHE. UNE ICÔNE DE L'ART DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par
    • 942 mots

    Lorsque son sujet marque un point de cristallisation pour un ensemble significatif de créations et de problèmes, la monographie demeure un des genres fondamentaux de l’histoire de l’art. L’Homme qui marche de Giacometti s’impose à ce titre : la sculpture compte en effet, avec Le Baiser...

  • DANS LA CHALEUR VACANTE, André du Bouchet - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 811 mots
    C'est d'ailleurs un portrait de l'auteur gravé à l'eau-forte par Giacometti qui illustre les exemplaires de l'édition originale ; éclairé de vastes espaces laissés en blanc par une typographie exigeante, ce petit livre blanc au format presque carré marque ainsi la reconnaissance d'un jeune auteur dans...
  • DÉMATÉRIALISATION DE L'ŒUVRE D'ART

    • Écrit par
    • 1 630 mots
    Matérialisation, dématérialisation : L'Objet invisible (Mains tenant le vide) d'Alberto Giacometti (1934) pourrait réunir et illustrer les deux tendances et les deux processus à l'œuvre. Le personnage de bronze fut moulé et coulé dans un matériau précis, aux propriétés et qualités intrinsèques....
  • DUPIN JACQUES (1927-2012)

    • Écrit par
    • 749 mots

    Poète et critique d'art né à Privas (Ardèche), Jacques Dupin partageait avec quelques-unes des voix poétiques majeures de sa génération – Yves Bonnefoy, André du Bouchet avec lesquels il fonda en 1967 la revue L'Éphémère – le souci de rendre l'expérience poétique à sa vocation...

  • GIACOMETTI DIEGO (1902-1985)

    • Écrit par
    • 670 mots

    Durant la plus grande partie de sa vie, Diego Giacometti fut connu comme l'« autre » Giacometti, le frère désintéressé et indispensable du sculpteur Alberto Giacometti. Diego était l'associé d'Alberto, son assistant, son confident et son modèle. Il fabriquait les armatures des sculptures...

  • Afficher les 14 références