GIACOMETTI ALBERTO (1901-1966)
La ressemblance
« Ce qui m'intéresse dans toutes les peintures, écrivait Giacometti, c'est la ressemblance, c'est-à-dire ce qui pour moi est la ressemblance : ce qui me fait découvrir un peu le monde extérieur. » Ainsi envisagée, la ressemblance n'a plus rien à voir avec le souci naturaliste du rendu ; plutôt que de reproduire la réalité, il s'agit de réaliser la sensation qu'on en peut avoir, de rendre réelle la vision que l'on en a. Or, qu'est-ce que voir un objet ? Cette question qu'à la même époque se posait la phénoménologie, Giacometti semble l'inscrire dans son œuvre. La vision courante est une vision perpétuellement « redressée » par la raison, par l'intellect, par l'habitude. Que serait une vision nue, délivrée de ces « redressements » ? Quelles sont les limites exactes d'une figure ? Où, exactement, se trouve l'objet que l'on considère ? Quelle est l'échelle de cet objet ? Par quel processus visuel éprouve-t-on qu'une chose est là ? Toute l'œuvre de Giacometti semble célébrer ce mystère de la visibilité des apparences et l'énigme de la présence du monde. De là ces figures élongées, aux limites imprécises, étirées comme un plasma vibrant au sein de l'espace. De là encore ces apparentes aberrations optiques, proches parfois de certaines anamorphoses maniéristes, où la minuscule figurine acquiert la qualité monumentale de la grande figure et la grande figure la minutie de la figurine, où la figure en marche acquiert le statisme de la figure immobile et la figure dressée la mouvance de la figure en marche, en une sorte de paradoxe zénonien sur le mouvement et l'immobilité, sur l'un et le multiple, où toutes les qualités du visible s'interpénétreraient et finiraient par s'abolir dans un espace indifférent qui, tout à la fois, les suscite et les engloutit. De là, enfin, ce besoin de redonner à ces figures « perdues » une échelle qui soit relative à l'œuvre elle-même, soit dans la sculpture au moyen d'une « cage » ou d'un socle par rapport auxquels la figure retrouve une taille, soit, dans les peintures, au moyen de « caches » dédoublant le cadre de la toile, dans lesquels la figure inscrit sa dimension « vraie ». La figure peut alors apparaître hiératique, impérieuse, et devenir, selon le mot de Sartre, cette apparition qui est aussi une disparition, une « apparition interrogative ».
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Écrit par
- Jean CLAIR : directeur du musée Picasso
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