MANGUEL ALBERTO (1948- )
« Le lecteur universel », ainsi pourrait-on qualifier Alberto Manguel, écrivain polyglotte, tant son amour des livres, mêlant les genres, les langues et les thèmes, semble se confondre avec l'espace entier de la littérature. Son errance de pays en pays, son œuvre polymorphe, son érudition rendent compte de cette passion. Sa conception de la lecture est aussi subversive que jubilatoire : « Il n'y a que les fous et les professeurs de littérature qui lisent dans l'ordre. [...] Mais le vrai lecteur est un anarchiste. [...] La lecture, c'est l'exercice de la liberté absolue. »
Né en 1948 à Buenos Aires, Alberto Manguel passe une partie de son enfance en Israël, où son père était ambassadeur d'Argentine. Sa nurse lui parle en anglais et en allemand. À Buenos Aires, en 1955, il sera un des lecteurs de Borges (Chez Borges, 2004). Après un voyage en Europe et un séjour à Tahiti, il s'installe au Canada en 1982, et devient citoyen canadien en 1985. Il demeure en France depuis 2001, entouré d'une bibliothèque de plus de 35 000 volumes. En 2004, le prix Roger Caillois a été attribué à l'ensemble de son œuvre écrite en anglais ou en espagnol. Car, « ... loin d'être, une malédiction, la multiplicité des langues et des cultures permet de construire un monde plus ouvert et plus riche ».
« Lire, c'est vivre » : telle est la devise de cet amoureux des mots et des langues étrangères, qu'elles soient mortes ou vivantes. L'essai, l'article, le roman, la critique ou la traduction : Manguel pratique avec art tous ces domaines. Son Dictionnaire des lieux imaginaires (écrit avec Gianni Guadalupi, 1980) est ainsi l'inventaire facétieux des lieux d'une géographie de fiction, décrits à la manière des guides Baedekers d'autrefois.
Une érudition imposante sous-tend le bonheur de lire de Manguel. Il le montre lorsque, dans Une histoire de la lecture (1996), il fait le récit, entrecoupé d'anecdotes, des mentalités et des façons de lire à travers les siècles, depuis les premières tablettes sumériennes jusqu'à nos jours. Une histoire sans fin dès lors qu'« aucune lecture ne peut jamais être définitive ». Dans la forêt du miroir (1998) évoque le parcours de l'écrivain, ses révoltes contre les violations de la dignité, et comment la fiction en est venue à primer sur la violence de la réalité. Kipling : une brève biographie (1998) fait justice des appréciations outrancières dont fit l'objet l'auteur du Livre de la jungle. Dernières Nouvelles d'une terre abandonnée (1991) relate les ravages d'une dictature d'État, ici en Argentine. Le Livre d'images (2000) invite le lecteur à trouver son identité à travers « l'énigme » que recèlent les peintures ou les œuvres d'art. Stevenson sous les palmiers (2000) mêle l'enquête policière aux thèmes favoris de l'écrivain écossais, mort aux îles Samoa.
Journal d'un lecteur (2004) se construit autour d'un axiome : « Une bibliothèque est un autoportrait. » Pendant une année (2002-2003), Alberto Manguel a ainsi relu, au rythme d'un par mois, douze auteurs différents : « Il y a, dans l'acte de lire, une anarchie totale et salvatrice... » La lecture est ici entendue comme un dialogue qui permet une compréhension de l'œuvre et de soi-même. Le héros d'Un amant très vétilleux (2005), l'un des rares romans de Manguel, ne peut savourer que des parcelles de l'objet érotique. Un retour (2005) revient sur les années noires que connut l'Argentine. Pinocchio et Robinson. Pour une éthique de la lecture (2005) dénonce de son côté la dévalorisation de la lecture, cependant que Nouvel Éloge de la folie (2006) stigmatise l'ineptie d'une société de consommation qui fait peu de cas de la création artistique littéraire. Voici[...]
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Écrit par
- Bernard SESÉ : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española
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