SAVINIO ALBERTO (1891-1952)
De la disparité à l'unité
L'œuvre littéraire de Savinio, aujourd'hui redécouverte, manifeste une disparité, mais celle-ci n'est qu'apparente. Cette disparité est perçue principalement au niveau de la forme. Mais c'est le contenu de l'œuvre qui semble en quelque sorte l'exiger. L'essai, le texte critique, la nouvelle ou la biographie, toutes ces formes littéraires, tous ces genres en général distincts, deviennent chez Savinio des catégories floues, s'entremêlent pour produire des œuvres indéfinissables et fascinantes. Ainsi Maupassant et l'« autre », à l'origine essai sur Maupassant, est un texte à caractère autobiographique, mais qui s'apparente à la nouvelle et au récit fantastique. De cette manière, l'œuvre de Savinio échappe à la catégorisation et pour cette raison même crée une attirance sur le lecteur, l'incitant à poursuivre et à aller plus avant. Les écrits d'Alberto Savinio sont des labyrinthes où il n'est pas rare de rencontrer le Minotaure de la façon la plus imprévue qui soit.
Une caractéristique générale cependant domine l'œuvre : un goût très prononcé pour l' autobiographie qui se manifeste particulièrement dans des œuvres comme Tragédie de l'enfance, 1920, et Infanzia di Nivasio Dolcemare (Enfance de Nivasio Dolcemare) 1941. Mais l'intrusion d'éléments autobiographiques ne se limite pas à ces deux seuls textes ; l'œuvre dans son ensemble est jalonnée par ces éléments.
Cette tendance va d'ailleurs de pair avec le goût très net de la biographie, comme en témoignent certaines nouvelles mettant en scène la vie de divers créateurs : Apollinaire, Cocteau, Isadora Duncan, Arnold Böcklin, Paracelse ou Nostradamus, autant de personnages qui ont inspiré Savinio. Chez lui, cependant, autobiographie et biographie ne sont que des prétextes, des matériaux originels, à partir desquels, comme en musique, l'auteur modulera à l'infini les sonorités pour constituer en définitive un récit et une œuvre d'art à part entière. À ce titre, Hommes, racontez-vous paraît d'une démarche exemplaire.
Les vies de divers personnages dont les destins diffèrent, mais aboutissent tous, bien évidemment, à la mort, ne sont, pour Savinio qu'un prétexte pour alimenter, donner forme et consistance à ses propres méditations sur la mort : mort qui est au centre de son œuvre, et que lui-même appelait la Présence. Cette obsession de la mort est liée chez lui à l'obsession de la naissance et au monde de l'enfance. Située entre ces deux pôles, la naissance et la mort, la vie, et le sens que l'on doit lui donner, revêt pour Savinio un intérêt particulier. Mais cette obsession propre à sa personnalité change de niveau quand l'homme s'efface derrière le poète. Elle se sublime et se hisse à un niveau d'universalité, en prenant pour objet l'humanité. En effet, grâce à son immense érudition, Savinio cherche à percevoir un fil conducteur ; il cherche à découvrir un lien d'unité, si fragile soit-il, entre toutes les civilisations, toutes les cultures, toutes les mythologies, toutes les langues, tentant ainsi de reconstituer une « histoire poétique » de la grande tradition de l'humanité. L'étendue du dessein explique la disparité de l'œuvre dans ses formes et les multiples thèmes qui la sous-tendent. Paradoxalement, c'est d'un désir de synthèse que naît cette disparité.
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Écrit par
- Christian CHALMÉ : maîtrise d'italien, licencié ès lettres modernes.
Classification
Média
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