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SAVINIO ALBERTO (1891-1952)

De l'unité à l'hermaphrodisme et à la dualité

La recherche de ce lien hypothétique, unissant le passé au présent, amène consciemment ou inconsciemment l'auteur à dévoiler une composante encore peu connue de la psyché humaine et que Jung fut l'un des premiers à percevoir. Ce lien n'est autre que l'inconscient collectif, seule « réelle » tradition de l'humanité. Et cette mise en lumière des éléments fondamentaux appartenant à l'inconscient collectif porte l'auteur à brosser un tableau parfois bouleversant, le plus souvent angoissant, de la condition humaine dans ce qu'elle a de plus essentiel, de plus profond, de plus vrai. La portée de l'œuvre, son dessein, pourrait engendrer la méfiance, et le lecteur non averti pourrait s'attendre à des écrits austères, voire ennuyeux. Ce serait méconnaître le talent prodigieux du poète qu'est Savinio. Car son style se développe avec légèreté, animé par un ton enjoué. L'auteur reste fidèle en cela à sa maxime : c'est par le superficiel que l'on doit atteindre la profondeur. On trouve chez Savinio cette curieuse démarche qui consiste à ne pas aller droit au but. L'objet visé est là, devant lui, mais l'écrivain paraît refuser de le voir, saisi par une étrange altération de la vision comme s'il était brusquement atteint par une forme particulière de strabisme littéraire. Par cette distorsion voulue du regard, le génie de Savinio réussit à amener le lecteur jusqu'à la conclusion, d'une manière beaucoup plus efficace que s'il marchait droit dessus. Mais il faut tenir compte également de ce clin d'œil que l'auteur fait au lecteur, de ce ton à la fois ironique et humoristique. En deux mots, Savinio possède ce léger sourire que son frère Giorgio, dans ses Mémoires, décrit de la façon suivante : « ... le sourire de l'homme exceptionnel qui sait ».

Dans une de ses nouvelles fantastiques, « Le Coq », du recueil Toute la vie, l'auteur rencontre Mercure incarné sous la forme d'un coq, et ce dernier lui raconte son histoire. Nous apprenons ainsi que le vrai nom de Mercure était Hermès chez les Grecs, Myrquirios chez les Étrusques, etc. Mercure-Hermès-Myrquirios est celui qui montre le chemin et ce chemin nous allons le suivre... Mercure, en astrologie, gouverne le signe des Gémeaux, signe double par excellence. En alchimie, le mercure, selon la définition de Jung, contient en soi « le mâle et la femelle » ; il est appelé par les alchimistes hermaphrodisme. Ainsi, à travers Mercure qui est un signe, l'hermaphrodisme devient pour Savinio un symbole, une constante de l'histoire intérieure de l'humanité. Il rencontre partout Mercure-Hermaphrodite, symbole de l'ambivalence sexuelle présente dans les hommes depuis toujours. L'hermaphrodisme est pour Savinio le symbole archétypal, la preuve quasi scientifique de l'existence effective de l'inconscient collectif. L'hermaphrodisme devient pour l'écrivain l'expression de la condition humaine, de la profonde dualité qui existe dans l'être humain et, d'une manière plus générale, un symbole du dualisme universel propre à l'univers matériel. L'hermaphrodisme est un thème si cher à Savinio que celui-ci a intitulé son œuvre majeure Hermaphrodito. De près ou de loin, implicitement ou explicitement, toute l'œuvre de Savinio tient en ce terme qui résume tous les autres. L'hermaphrodisme est le centre vitalisant de l'œuvre, centre à partir duquel l'univers poétique de Savinio se déploie et où il se concentre. Il représente la naissance et la mort, le lieu d'où l'on vient et où l'on retourne. À propos de Hermaphrodito, Savinio déclarait : « Tout ce que j'ai fait [...] vient de là. »

L'importance d'Andrea de Chirico, le[...]

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<em>L’Annonciation</em>, A. Savinio - crédits : AKG-images

L’Annonciation, A. Savinio

Autres références

  • DE CHIRICO GIORGIO (1888-1978)

    • Écrit par
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  • ITALIE - Langue et littérature

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    • 20 médias
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