ALTDORFER ALBRECHT (1480 env.-1538)
Le paysage
De très petit format, à tel point qu'on a voulu en déduire, sans raison suffisante, qu'Altdorfer avait reçu une formation de miniaturiste, ses premiers tableaux connus présentent le même caractère. À côté de saints dans des paysages, il peignit une Famille de satyres, scène sans doute imaginée par quelque humaniste, mais dont la signification reste mystérieuse. Plus étonnant est son Saint Georges combattant le dragon, car la surface du tableau est presque entièrement recouverte par les feuillages serrés d'arbres gigantesques qui font oublier le saint, minuscule, réduit au rang de prétexte au profit d'une végétation qui, jusqu'alors, ressortissait au simple décor, ce qu'on appelait un parergon.
L'importance prise par le paysage, par les arbres dans les compositions d'Altdorfer a été au centre des interprétations qu'on a données de son art. Récemment, on a voulu voir dans cette abondance végétale un rappel de la grande forêt germanique. L'hypothèse a pour elle de lier son art au nationalisme culturel de nombreux humanistes allemands, et en particulier à celui de Konrad Celtis qui avait séjourné à Ratisbonne et qui avait chanté cette forêt primitive dans sa Germania illustrata. Bien qu'elle se heurte au fait que la végétation se montre aussi abondante dans les œuvres de certains artistes italiens de l'époque, en particulier Lorenzo Lotto, elle est cependant plus probable que celle d'une fusion entre l'homme et la nature qu'aurait, consciemment ou non, opérée Altdorfer par son style. Cette interprétation, apparue entre les deux guerres et qui persista jusqu'à une époque récente (tant est fort le penchant des historiens de l'art pour les idées reçues), résulte en fait d'une projection du romantisme sur l'art allemand du début du xvie siècle : allemand par nature, l'esprit romantique, qui s'était réveillé vers 1800, ne pouvait qu'avoir inspiré les plus grands peintres que l'Allemagne ait produits, Grünewald, Dürer, Cranach, Altdorfer... Par le côté idyllique de son art, Altdorfer passait pour le Ludwig Richter (1803-1884) ou le Moritz von Schwind (1804-1871) de ce romantisme du début du xvie siècle, et l'on ne manquait pas d'évoquer à son propos le Rübezahl (esprit des forêts, personnage légendaire du folklore germanique) du second.
Un des arguments stylistiques sur lesquels s'appuyait cette interprétation tenait au graphisme d'Altdorfer, un graphisme qui, loin de se soumettre aux choses pour en traduire l'aspect, traite les rameaux comme les plis d'un vêtement et les traits d'un visage comme les feuilles d'un arbre. Mais il était anachronique d'interpréter ce caractère comme une volonté, plus ou moins consciente, d'exprimer l'unité profonde de la Nature telle que l'ont vécue les romantiques – alors qu'un goût formé par la doctrine académique n'y avait pendant longtemps vu que simple maladresse. L'hypothèse est d'autant moins recevable que ce graphisme, d'une étonnante liberté, subit des changements rapides et profonds. C'est ainsi qu'en 1508-1510 Altdorfer adopte ce qu'on appelle le style des plis parallèles, un style peut-être inspiré par une tendance antiquisante de la sculpture italienne, tandis qu'en 1512 il se complaît à un jeu de grandes courbes décoratives comme des arabesques.
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Écrit par
- Pierre VAISSE : professeur d'histoire de l'art à l'université de Genève
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Médias
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