ALTDORFER ALBRECHT (1480 env.-1538)
L'art de la couleur
Ces observations concernent avant tout les dessins d'Altdorfer, la part sans doute la plus originale de sa production. Cependant, la couleur intense et lumineuse de ses peintures a suscité des commentaires analogues. Dans un livre resté célèbre, Otto Benesch, en 1938, la mettait en rapport avec les idées exprimées un peu plus tard par Paracelse. Ce rapprochement, qui continue à faire florès aux États-Unis (où Benesch vécut de l'Anschluss à la fin de la guerre), repose sur une argumentation aussi subjective qu'arbitraire, mais elle se comprend si l'on se rappelle le rôle de héros germanique que certains milieux, dans l'entre-deux-guerres, attribuèrent à Paracelse en raison de son irrationalisme.
Comme coloriste, Altdorfer atteint le sommet de son art entre environ 1511 et 1518 avec les panneaux, consacrés à la Passion du Christ et à la légende de saint Sébastien, d'un retable (aujourd'hui démembré) commandé par le prieur de l'abbaye de Saint-Florian, près de Linz. Contemporain de celui dont Grünewald peignit les volets pour le monastère d'Isenheim en Alsace, c'était un de ces immenses retables comme le goût s'en était répandu en Allemagne du Sud dans le dernier tiers du xve siècle, et dont les derniers exemples furent réalisés peu après 1520. L'importance de cette commande ainsi que la collaboration à différents travaux pour l'empereur mentionnés plus haut expliquent peut-être qu'Altdorfer ait alors à peu près cessé de produire des dessins de vente.
Bien que ces panneaux soient considérés aujourd'hui comme une de ses œuvres maîtresses, la reconnaissance de leur authenticité ne fut pas immédiate, tant leur style diffère de celui des peintures plus anciennes, et même d'un tableau contemporain comme La Vierge à l'Enfant entre saint Jean et saint Joseph de 1515. Au lieu de présenter des formes arrondies et des visages poupins, les personnages aux traits du visage fortement expressifs sont grands et dégingandés, comme désossés. Ce changement radical avait toutefois été annoncé par la grande Crucifixion de Kassel et par Les Deux Saints Jean, panneau provenant d'un monastère de Ratisbonne et conservé dans le musée de cette ville, au point qu'on peut se demander si le style d'Altdorfer n'était pas, en partie du moins, conditionné par le format.
Un autre caractère des compositions réside dans l'utilisation de la perspective : des raccourcis exagérés, comme si les scènes étaient vues de près avec un angle de vision très ouvert, créent une puissante impression d'espace. Là aussi, le procédé n'était pas nouveau chez Altdorfer. Il s'appuie certainement sur la connaissance de l'art du Tyrolien Mickael Pacher, en particulier du retable qu'il avait exécuté pour l'église de Saint-Wolfgang près de Salzbourg, mais plus encore sur l'étude des gravures sur cuivre de Mantegna, dont il devait posséder des exemplaires dans son atelier. Il dépasse cependant de beaucoup ces modèles dans l'exploitation des possibilités rhétoriques de la perspective, allant même jusqu'à en mettre en œuvre les principes pour un regard dirigé di sotto in su (procédé de dessin consistant à représenter en raccourci une figure ou un objet vu de bas en haut), dans un dessin où la croix du Christ s'amenuise vers le haut, comme peuvent la percevoir la Vierge et saint Jean debout à son pied – un procédé que l'on retrouvera dans des peintures de plafond en trompe l'œil.
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Écrit par
- Pierre VAISSE : professeur d'histoire de l'art à l'université de Genève
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Médias
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