DÜRER ALBRECHT (1471-1528)
Dessinateur, graveur sur cuivre et sur bois, peintre et théoricien, Dürer est sans conteste le plus illustre des artistes allemands.
Il a joui de son vivant d'une réputation immense, surtout comme graveur : ses estampes furent copiées dans toute l'Europe. La gravure sur cuivre et la gravure sur bois n'étaient encore que des techniques récentes ; il a porté la première à un point de perfection jamais atteint depuis lors et élevé la seconde, qui jusque-là se limitait à de simples et grossières illustrations de livres, au rang d'un art majeur. Sa peinture, malgré d'incontestables chefs-d'œuvre, ne possède pas la même force de conviction, non qu'il fût peu doué pour la couleur, comme on l'a parfois prétendu à tort, mais parce qu'elle manque d'unité : on y sent les tendances contradictoires de son génie ou les différents moments d'une recherche dont le but aurait changé.
Les romantiques allemands et, à leur suite, des générations d'historiens de l'art virent en Dürer l'incarnation de l'esprit germanique et gothique ; mais, s'il est vrai que le poids de la tradition a pesé sur son style, il n'en a pas moins voulu introduire en Allemagne, à l'exemple de l'Italie, un art objectif et savant, offrant une représentation exacte du monde ; sa popularité auprès du grand public repose sur des œuvres où se manifeste une extraordinaire habileté à rendre avec minutie l'aspect des choses, mais il poursuivit longtemps l'idéal d'une forme noble et claire, opposé à ce réalisme.
Complexe et contradictoire, l'œuvre de Dürer ne permet pas un jugement d'ensemble qui le résumerait en une formule. Cet œuvre problématique ne compose pas un de ces univers clos auxquels se reconnaissent en général les grands créateurs, mais reflète les inquiétudes d'un esprit qui s'est peut-être allégoriquement figuré dans le célèbre cuivre de la Mélancolie (1514).
L'artiste et son temps
Une conscience nouvelle de l'art
Fils d'un orfèvre de Nuremberg, Dürer passa presque toute son existence dans cette ville. Malgré de nombreux points obscurs, sa vie et sa personnalité nous sont relativement bien connues grâce à des documents contemporains et surtout à plusieurs écrits autobiographiques (la Chronique familiale, faisant suite à celle que son père avait rédigée, une page d'un carnet intime, et le livre de raison dit Journal de voyage aux Pays-Bas) ; à cela s'ajoute une partie de sa correspondance et son œuvre dessiné et peint. Avec Dürer, et pour la première fois en Allemagne, un artiste échappe au quasi-anonymat, à l'ignorance qui entoure à nos yeux l'existence et la personne des artisans du Moyen Âge ; il s'affirme en pleine conscience de sa valeur et de sa dignité. Entre 1506 et 1511, il s'est représenté sur plusieurs compositions religieuses, tenant bien en évidence une inscription comprenant son nom, la date du tableau et son origine allemande : tel était son orgueil, bien légitime, d'avoir égalé les Italiens. Son autoportrait du Louvre (1493) est à notre connaissance le premier autoportrait sous forme de tableau de chevalet dans l'histoire de la peinture occidentale, mais c'est surtout dans celui du Prado (1498) qu'éclate sa fierté, mêlée d'une pointe de vanité aisément compréhensible chez un jeune homme qui s'était acquis à vingt-sept ans une vaste réputation et une situation exceptionnelle pour un artiste.
Dürer et Nuremberg
Le milieu nurembergeois, souvent invoqué pour expliquer cette métamorphose d'un artisan médiéval en artiste de la Renaissance et l'éclat de son art, n'offrait pas en réalité de conditions particulièrement propices. Sans doute la ville connaissait-elle une prospérité sans précédent et presque sans exemple dans l'Europe d'alors. Ses relations[...]
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Écrit par
- Pierre VAISSE : professeur d'histoire de l'art à l'université de Genève
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