ALCHIMIE
L'alchimie a longtemps été confondue avec l'occultisme, la magie et même la sorcellerie. Au mieux, on la réduisait à un ensemble de techniques artisanales préchimiques ayant pour objet la composition des teintures, la fabrication synthétique des gemmes et des métaux précieux. Au xixe siècle encore, Marcelin Berthelot ne voyait dans les opérations alchimiques que des expériences de chimie, dont l'objet principal était la recherche de la synthèse de l'or. Afin d'échapper aux enquêtes de police ou pour masquer leurs échecs, les alchimistes auraient usé d'un langage chiffré dont seuls les adeptes possédaient la clef. On en faisait ainsi soit des faux-monnayeurs soit des imposteurs. La découverte des textes alchimiques chinois, en particulier, est venue ruiner cette conception.
Ces erreurs d'interprétation des textes et cette méconnaissance des doctrines provenaient principalement des difficultés de déchiffrement du langage symbolique des alchimistes. En effet, la lecture de ces traités constituait, à dessein, une épreuve initiatique. Les maîtres ont voulu que leurs disciples mobilisent toutes leurs forces intellectuelles et spirituelles, claires et obscures, pour atteindre à l'illumination. Ceux-ci doivent s'arracher à leur temps et plus encore à eux-mêmes : oublier pour se souvenir. Ils doivent oublier pour retrouver. L'alchimiste a renoncé à la gloire, il devient anonyme. Il recrée et il tente de perfectionner par l'art ce qui a été créé avant lui et laissé imparfait par la nature.
L'alchimie, aussi bien que l'astrologie et la magie, doit être considérée comme une science traditionnelle. Elle doit être définie en fonction de ses rapports avec les structures et les valeurs des sociétés et des civilisations de type traditionnel, orientales et occidentales, antiques et médiévales où elle est née et où elle s'est développée. Il faut donc la considérer en fonction de ses propres critères et se garder de la réduire à nos systèmes.
L'alchimie ressemble à une science physico-chimique, mais elle est aussi et surtout une mystique expérimentale. Sa nature est à la fois matérielle et spirituelle, et elle observe principalement les relations entre la vie des métaux et l'âme universelle. Elle désire délivrer l'esprit par la matière et délivrer la matière par l'esprit. Par de nombreux aspects, elle s'apparente à l'art, mais à un art suprême : le traditionnel « Art d'Amour ». Elle propose à l'homme de triompher du temps ; elle est une recherche de l'absolu.
Le mot « alchimie » provient de l'arabe al-kīmiyā, conservé dans le provençal alkimia et dans l'espagnol alquimia. Les noms anglais et allemand ont gardé une dérivation médiévale, attestée aussi dans les anciens noms français « alquémie » et « arkémie » (xiiie siècle).
La signification du substantif préarabe kīmiyā, précédé de l'article défini al, est encore controversée. Littré a rapproché les mots « chimie » et « alchimie » du grec Χυμ́ια, de Χυμ́ος, « suc », supposant que l'on désignait ainsi primitivement « l'art relatif aux sucs ». Diels a proposé d'y reconnaître plutôt le grec χυμα, « fusion », lequel indiquerait le caractère métallurgique de ces techniques antiques. Von Lippmann et Gundel ont rejeté l'hypothèse de Diels. Le mot kīmiyā, par l'intermédiaire du syriaque, dériverait du grec χημ́ια et il aurait été formé sur l'égyptien kam-it ou kem-it, « noir » ; il évoquerait soit la « terre noire », nom traditionnel, selon Plutarque, de l'Égypte, pays qui aurait été le berceau des arts chimiques et alchimiques, soit la « noirceur » caractéristique de la décomposition de certains métaux.
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Écrit par
- René ALLEAU : historien des sciences et des techniques, ingénieur conseil
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