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ALEJANDRA, Ernesto Sábato Fiche de lecture

Ernesto Sábato, né en 1911 dans la province de Buenos Aires, porte le prénom d'un frère mort en bas âge. Marqué par l'amour possessif de sa mère, rêveur et tourmenté, il se réfugie très tôt dans la clarté des sciences exactes. Un doctorat de physique le mène à Paris, où il fréquente à la fois le laboratoire Joliot-Curie et les surréalistes. Membre du Parti communiste dans sa jeunesse, il prend ses distances avec le stalinisme sans cesser d'œuvrer pour la démocratie. Il présidera en 1984 la commission qui établit un rapport approfondi sur les exactions commises par la dictature militaire de Videla à Galtieri. Ses romans les plus célèbres, El túnel (Le Tunnel, 1948), Sobre héroes y tumbas (Alejandra, 1961) et Abbadón el exterminador (L'Ange des ténèbres, 1974) sont traduits dans plus de trente langues et lui ont valu en 1984 le prix Cervantès.

Une descente aux enfers

Admirateur des romantiques allemands et de Joyce, Ernesto Sábato s'efforce de construire dans Alejandra une « vision totalisatrice » destinée à rendre toute la complexité d'un monde en crise. Il met en œuvre pour cela un dispositif fragmentaire, « réaliste au meilleur sens du mot » selon lui, c'est-à-dire polyphonique, où se juxtaposent sans cohérence apparente les pièces d'un puzzle géographique et historique qu'il appartiendra au lecteur de réordonner. Le roman apparaît découpé en quatre parties hétérogènes, dont la voix narrative est chaque fois différente. La cohérence diégétique est cependant très forte : elle s'organise autour du personnage d'Alejandra Vidal Olmos, une jeune femme belle et secrète, épileptique, à la fois ange et démon. « Cette grande bouche dédaigneuse, ce mélange d'avidité et d'ennui, de violence et d'une sorte d'absence, de sensualité presque féroce et de dégoût général et profond, tout cela donnait à son expression un caractère qu'on ne pouvait oublier. » Alejandra est entourée de figures masculines complémentaires dont celle, troublante, de son père, Fernando. Celui-ci est l'auteur de l'extraordinaire « Rapport sur les aveugles », troisième et fameuse partie du livre, où la descente exploratoire dans « un monde inférieur et horrible, patrie des immondices » est la métaphore à peine voilée d'une plongée dans les abysses de l'inconscient. Fernando, à qui le romancier a pris soin d'attribuer sa propre date de naissance, ne trouvera là que visions sadiques et pulsions de mort, inceste et anéantissement. En contrepoint, deux personnages se partagent la face diurne de l'homme : Martin, étudiant pauvre et inquiet, amoureux d'Alejandra, et Bruno, l'intellectuel, observateur des êtres et des choses, où l'on reconnaît un des visages de l'auteur.

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